Suite de notre petite série d’articles consacrés à l’enseignement informatique. Nous avons cette fois sollicité l’avis du CRIFA, Centre de recherche sur l’instrumentation, la formation et l’apprentissage de l’ULg qui, en dehors de son rôle de formation et d’information pour les enseignants, a aussi notamment été chargé par la Région d’assurer le suivi transversal de l’ensemble des projets Ecole numérique.
L’un des constats généraux que pose Brigitte Denis (voir son petit profil) est le suivant: “certaines mesures ont été mises en place en matière de formation des enseignants (tous niveaux confondus), formation initiale et continue, mais ne sont pas encore suffisantes.”
Dès 2006, le constat avait été fait que “la formation dispensée était assez “hétéroclite”. Il n’y avait pas de référentiel de compétences, pas de piste méthodologique ou de piste d’évaluation. Un groupe de travail constitué d’enseignants, piloté par le CRIFA, a dès lors initié le projet HETICE (Haute Ecoles et technologies de l’information et de la communications pour l’éducation) qui met les professeurs en réseau, assure des formations, procure des ressources…
Les travaux ont permis de définir un document de référence, des pistes d’activités, un référentiel de compétences [Ndlr: il peut être téléchargé à partir du site de l’ULg]. L’objectif était de procurer un socle commun aux professeurs qui dispensent des cours AMTICE [apport des médias et des TIC en enseignement]. Ces professeurs viennent d’horizons très différents, avec des socles de formation initiale très différents… Aujourd’hui, certaines écoles se servent de ce document comme fil conducteur pour les cours. Mais ce n’est ni généralisé, ni obligatoire. Je formule dès lors régulièrement la proposition de pouvoir au moins se référer à cette liste d’activités, sans pour autant les imposer.”
Des profils non spécifiques
Au-delà du curriculum à mettre en oeuvre pour la formation initiale des futurs enseignants, une autre recommandation de Brigitte Denis est de faire en sorte que les enseignants qui donnent ces cours d’informatique (quelle que soit l’appellation qu’on leur donne) aient un “titre requis” [Ndlr: ce titre implique une formation ayant un lien direct avec la discipline enseignée dispensée dans le cadre d’un enseignement organisé par une université ou une Haute École reconnue et subventionnée par les pouvoirs publics, et la détention d’un titre pédagogique – diplôme ou certificat – délivré suite à cette formation].
Brigitte Denis (ULg, CRIFA): “On impose bien un titre requis pour pouvoir donner des cours de français, de maths, d’histoire, de sciences… Ce n’est pas le cas pour les “TICE”
“On impose bien un titre requis pour pouvoir donner des cours de français, de maths, d’histoire, de sciences… Ce n’est pas le cas pour les “TICE”, peut-être parce que la discipline est encore assez jeune, que certains ne voient dans l’ICT qu’un outil qu’on met au service de l’enseignement… Mais il faut s’y former, il faut les maîtriser et les intégrer à bon escient. Il faut une réflexion, une maîtrise. On ne peut certainement pas se contenter de dire que les jeunes de toute façon en savent désormais plus que les professeurs. Un professeur d’AMTICE doit savoir intégrer les technologies, et savoir pourquoi. Il doit pouvoir trouver la plus-value que représente l’utilisation de l’ICT à des fins éducatives…
Ce titre requis n’existant pas, les cours d’initiation à l’informatique ou aux médias sont parfois donnés par des personnes ayant une formation toute autre. Par exemple, quelqu’un qui est détenteur d’une licence en communications pour ce qui est de l’éducation aux médias. Ou, pour le cours d’informatique ou d’informatique pédagogique, la personne qui “aime bien ça” ou qui a un horaire à compléter, ou le prof de maths…
L’organisation de ces cours diffère selon les écoles. Un titre requis permettrait d’avoir une certaine assurance qu’on n’est pas parfois en train de bricoler.”
A ses yeux, il est fondamental de veiller à ce que les enseignants maîtrisent à la fois la matière (lICT) et les compétences pédagogiques nécessaires pour les enseigner. “Le problème actuel est que ,pour l’enseignement des TICE, un informaticien ne s’intéressera pas aux applications pédagogiques de la technologie. Pas plus qu’un détenteur de master en communications… Du côté des pédagogues, il y a généralement un cours de technologie de l’éducation, parfois des modules spécialisés, parfois pas. Pour la formation continue, ce n’est pas simple non plus. Certaines contraintes ne répondent pas totalement aux besoins du terrain.”
Brigitte Denis (CRIFA): “Il faut élargir le panorama des usages pédagogiques, construire des scénario pédagogiques qui intègrent les technologies ICT en ne les choisissant que si elles comportent une plus-value… La question sine qua non est la suivante: peut-on faire avec la technologie qu’on ne pourrait pas faire autrement.”
Autre lacune à ses yeux en termes de contenu des formations: “nous souffrons beaucoup du découpage de l’enseignement en réseaux. Beaucoup de choses se font sans synergie.”
Autres priorités
Quelles seraient, selon elle, les priorités que devraient privilégier les pouvoirs publics pour améliorer les choses? “Outre le titre requis déjà évoqué, il faudrait poursuivre les efforts d’équipement. Il ne s’agit pas d’inonder les écoles de tablettes ou de TBI [tableaux blancs interactifs), avec des équipements qui prennent parfois la poussière dans des armoires. Mieux vaut peut-être fournir ceux qui demandent à être équipés et qui savent quoi en faire. C’est la philosophie qu’a suivie le plan Ecole numérique. C’est là une idée à maintenir.
L’idéal serait de disposer de davantage de moyens financiers pour équiper plus et former plus. Permettre aux professeurs de passer plus de jours en formation, le nombre de jours étant actuellement limité. Et ils le font parfois sur leur temps libre. Augmenter les crédits formation serait un élément facilitateur. Mais cela dépend aussi des écoles. Certaines autorisent un certain nombre d’heures mais, d’une manière générale, cela nécessite souvent de la motivation de la part des enseignants.”
“Il existe l’un ou l’autre réseau de partage de ressources mais il est encore relativement rare que les professeurs se regroupent en communautés de pratiques.”
Quid de l’émulation entre professeurs, en dehors de toute filière structurée, officielle? N’y a-t-il pas là un moyen de faire face aux besoins en compétences?
“Il existe l’un ou l’autre réseau de partage de ressources (comme Enseignons.be) mais il est encore relativement rare que les professeurs se regroupent en communautés de pratiques. On les taxe d’ailleurs souvent d’individualisme. Les avis émis au sujet de telles communautés de pratiques sont mitigés. Il faut des déclencheurs. Il faut débusquer les professeurs, les faire goûter à certaines choses. Sur le terrain, il s’agit souvent d’un échange de trucs et de ficelles plus que d’une formation réelle. Il faut aussi une réflexion pour éviter que les enseignants s’enthousiasment pour des technologies qui n’ont guère de valeur, ou au contraire repoussent certaines choses qui n’auraient peut-être pas été présentées de manière optimale, compte tenu du contexte de la personne…
Je crois beaucoup à la mise en réseau. Le réseau HETICE par exemple permet aux gens de se parler. Même si ce n’est évidemment jamais assez.
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