En janvier 2014, la fédération belge de la grande distribution, Comeos lançait un cri d’alarme: selon ses calculs, 36.197 emplois seraient menacés en Belgique d’ici 4 ans en raison de la difficulté qu’aurait la Belgique à capter de la valeur et des emplois dans le secteur de l’e-commerce.
Les confrontations de points de vue et les débats qui ont récemment eu lieu lors d’une conférence Technofutur TIC rassemblant l’ensemble des acteurs ont permis de dégager les points critiques de ceux qui le sont moins.
Ainsi, s’il y a eu unanimité pour confirmer que les coûts salariaux sont très lourds en Belgique, la problématique dépasse largement le secteur de l’e-commerce. L’entrepreneur belge a fini par être habitué à ce contexte et veille à maximaliser la productivité et à automatiser autant que possible le fonctionnement de sa société, de sorte que l’impact négatif est probablement moindre pour l’e-commerce que pour le commerce physique. Par contre, il serait probablement bienvenu d’une part de cibler les réductions de coût salarial sur les bas salaires (pour le pick-in, l’emballage,…) et, d’autre part, de se demander s’il n’est pas excessif de considérer que tout travail après 20h doit faire l’objet d’un sursalaire « de nuit ». Or les soirées sont des périodes chargées pour la logistique d’une boutique en ligne.
Le différentiel de taux de TVA n’est pas non plus jugé comme critique, d’autant qu’à partir de 2015 les e-commerçants non européens ne bénéficieront plus d’exception et devront d’appliquer la TVA du pays du consommateur.
Par contre, le manque de suivi par les autorités en cas d’infraction par des concurrents ou en cas de fraude semble plus problématique. Ce point pourrait être assez facilement amélioré. Plus généralement, des participants soulignent qu’à tous les niveaux de pouvoir, les enjeux autour du numérique ne sont pas encore bien décryptés par les décideurs politiques. Parfois même ceux-ci ignorent qu’il faut du personnel pour faire tourner une activité de commerce électronique, l’ayant assimilée à du virtuel. Plusieurs intervenants au débat ont appelé à la création d’un Ministère belge du Numérique, vision peut-être utopique d’unité dans le contexte institutionnel actuel, où ce type de compétences se répartit déjà entre les 3 régions.
©Hannah Gal/Photodisc/Thinkstock
Le handicap au niveau des solutions nationales de paiement et de livraison semble également largement partagé, mais a été quand même nuancé : les tarifs de livraison au niveau national ont baissé ces dernières années. Reste un différentiel encore trop fort entre l’exportation, nettement plus coûteux que l’importation, ce qui amène nombre d’e-commerçants souhaitant vendre à l’étranger à faire de l’injection directe (dépôt par exemple à Lille ou à Givet des colis destinés au marché français). Surtout, il n’existe pas encore suffisamment d’offres logistiques pour la livraison de produits aux dimensions non standard. Quant aux moyens de paiement, le marché est en pleine effervescence.
L’e-commerçant belge a aussi des atouts
Les e-commerçants présents ont confirmé lors du débat que vendre en ligne n’est pas facile, qu’il y a des désavantages structurels et des inconvénients propres à un petit pays (moindre économie d’échelle par exemple au niveau des solutions logistiques).
Mais ils ont aussi souligné que la Belgique présente aussi des avantages concurrentiels, en particulier:
- une disponibilité de terrains industriels à faible coût et des loyers comparativement bien accessibles par rapport aux Pays-Bas par exemple
- une excellente localisation qui permet de desservir le cœur de l’Europe en moins d’une journée-camion
- une main-d’œuvre nettement plus multilingue que les grands pays voisins
- et l’existence de systèmes d’aides publiques généreux (ex: 50% de subsides en Wallonie pour la réalisation d’un site d’e-commerce, primes à l’emploi, subsidiation de formations spécialisées).
L’e-commerce belge peut résister!
En conclusion du débat, Comeos semblait avoir bien raison d’attirer l’attention sur le retard observé dans le développement de l’e-commerce en Belgique (probablement 2 années en Flandre et 3 en Wallonie) et sur les handicaps structurels nationaux. Il est probable que la part de marché des e-commerçants, estimés actuellement à 37%, augmentera encore.
Mais les professionnels belges de l’e-commerce sont loin de capituler et estiment au contraire que la Belgique a une carte importante à jouer. Il y a indiscutablement un effet de cannibalisation entre le commerce électronique et le commerce traditionnel, et donc des transferts d’emplois et vraisemblablement un différentiel négatif dû à une recherche prioritaire de compression des coûts salariaux.
Ne serait-ce pas surtout l’Europe qui doit monter au front de l’e-guerre?
Par contre, plus que la concurrence des e-commerçants étrangers, ne devrions-nous pas avant tout nous inquiéter que les prestataires des e-commerçants belges sont de plus en plus de nationalité étrangère et même non européenne, et ne paient pas ou guère leurs impôts proportionnellement à leurs activités dans les différents pays? Ainsi, si le retailer faisait appel à des agences belges pour son marketing, quand il s’agit aujourd’hui de faire de l’e-marketing, il n’a face à lui quasiment que des acteurs étrangers pour ses campagnes, notamment de SEA et d’affiliation.
C’est peut-être à ce niveau que se situe l’enjeu le plus fondamental lorsque l’on se pose la question des retombées de l’économie numérique pour l’économie belge, mais aussi européenne.
Damien Jacob
conseiller indépendant en e-business
chargé de cours de formation à HEC ULg, HEPL, HE Condorcet et Université de Strasbourg
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