En matière de crowdfunding, aucune législation spécifique n’avait encore été élaborée, en Belgique, qui dresse un cadre permettant aux différents acteurs et intervenants de savoir exactement quels sont leurs droits, devoirs et latitudes. Toutefois, les choses sont en train de bouger. A l’instar de certains pays, tels les Etats-Unis, l’Italie ou la France, les autorités belges sont en effet en train d’élaborer de nouvelles règles qu’ils veulent à la fois mieux adaptées, plus souples et plus protectrices. Voir l’écho que nous en faisions la semaine dernière.
Les détails et modalités du nouveau cadre légal, qui s’appliquera notamment au crowdfunding de type equity (apport d’argent contre prise de participation au capital), devraient en être connus d’ici quelques semaines. On parle d’un plafond de 300.000 euros en-deçà duquel un porteur de projet ou entreprise ne devrait pas en passer par la lourde procédure d’émission d’un prospectus. Et, autre plafond, une somme maximale de 300 euros qu’un particulier pourrait injecter dans un projet.
Ces chiffres (mais ils ne sont pas forcément définitifs) sont quelque peu en-deçà de ce que d’autres pays proposent ou envisagent.
Chez nos voisins français par exemple, la barre fatidique des 100.000 euros pourrait être repoussée à un million. La limite d’investissement individuel serait, elle, fixée à 1.000 euros, pour les financements sous forme de “prêts rémunérés”.
Si le ministre Koen Geens a avancé ces chiffres, c’est, dit-il, parce qu’ils correspondent mieux au caractère traditionnellement prudent du Belge. Et limiter les mises à 300 euros permettrait de protéger un investisseur qui n’est pas formé à ce genre d’exercice. La France, elle, entrevoit la protection sous un oeil différent. Pour les levées de fonds de type entrée au capital, les entreprises ou porteurs de projet qui font appel au financement participatif devraient en passer par un exercice de “due diligence” qui permettrait de valider le sérieux et la solidité du projet ou de l’entreprise. Ce qui, soit dit en passant, n’est pas forcément une caractéristique d’une start-up ou d’un projet qui, forcément, n’a pas encore fait ses preuves.
Consultation européenne
En octobre 2013, la Commission européenne a initié une consultation publique en vue de recueillir un maximum d’avis sur la manière dont le crowdfunding est perçu (potentiels, risques) et sur l’opportunité qu’il y a ou non à harmoniser la législation au niveau de l’UE en vue de promouvoir ce mode de financement de l’économie.
A lire (annexe 1), le message que faisait passer, à cette occasion, Michel Barnier, Commissaire européen en charge du Marché intérieur et des services. Il soulignait notamment le fait que, “pour éviter que le financement participatif ne soit pas simplement une mode passagère”, il était nécessaire de définir des balises et garde-fou, “notamment pour assurer la confiance.”
La situation actuelle
Dans l’état actuel des choses, les modes “prêts” et “equity” tombent largement sous le coup des réglementations génériques touchant le secteur bancaire ou boursier. Et relèvent donc de l’autorité de la FSMA. Cette dernière a déjà, par le passé, intimé à MyFirstCompany de revoir son modèle – ou d’arrêter d’opérer. C’est ce deuxième scénario que la jeune start-up a finalement choisi.
MyMicroInvest, par contre, a décidé de négocier avec la FSMA et de trouver un modèle et un mode de fonctionnement qui lui permette d’opérer et de satisfaire aux conditions d’appel public à l’épargne.
Tout le monde attend en fait avec impatience que la législation évolue et prenne réellement en compte les spécificités de l’investissement participatif.
Les avis publiés par la FSMA, concernant les formules lending et equity, sont généralement considérés par les observateurs comme inadaptés et trop vagues. Le premier avis (à consulter ici) se contente de “présenter les schémas présentant les informations nécessaires”. Le second “vise à fournir aux consommateurs les éléments auxquels ils doivent être attentifs s’ils envisagent d’investir dans un projet de crowdfunding”. Plus de détails sur le site de la FSMA.
De premiers pas
L’absence d’une réglementation qui soit spécifique au crowdfunding n’est pas limitée à notre seul pays. Toutefois, les choses, parfois, commencent à bouger. En France, par exemple, les autorités de marché ont publié, en 2013, un guide du financement participatif et le dossier du crowdfunding figure parmi les chantiers annoncés par le gouvernement visant à accélérer la simplification administrative.
Diverses mesures devraient voire le jour. Telles l’assimilation des plates-formes de crowdfunding au statut de “conseiller en investissement participatif” ou le relèvement du plafond qui limite encore la collecte de fonds à 100.000 euros si on veut éviter la publication d’un prospectus. On parle aussi (pour le mode lending-baed) de nouveaux niveaux d’émission d’emprunt (1.000 euros par participant, jusqu’à un million pour l’emprunteur). Des garde-fou devraient également être définis pour protéger l’investisseur non-initié. Comme par exemple une phase préalable de due diligence.
Une réflexion est également en cours au niveau des instances européennes, souligne pour sa part Rodolphe d’Udekem, conseiller Business & Finance chez Impulse (précédemment Agence Bruxelloise pour l’Entreprise). “Plusieurs groupements d’acteurs poussent à l’action. En effet, si la situation actuelle perdure, il y aura un risque certain de bloquer l’évolution du crowdfunding et son adoption plus générale par le marché.”
Réglementer pour encourager
“Un cadre transfrontalier harmonisé serait plus profitable au développement d’un marché”, ajoute-t-il. Notamment pour mieux faire le poids face au mastodonte américain. A noter toutefois que, jusqu’il y a peu, ce dernier n’était pas encore réellement confronté à la problématique d’un cadre réglementaire dans la mesure où l’“equity-based crowdfunding” n’était encore pratiqué que dans des proportions très réduites. Les plates-formes qui existent s’alignent davantage sur les trois autres modèles [voir notre petit descriptif des 4 modèles de crowdfunding].
“Ce n’est qu’aujourd’hui, à la faveur d’une disposition dans le Jobs Act [entérinée par la SEC en octobre 2013], que des dispositions spécifiques sont prises pour l’equity-based crowdfunding”, souligne Rodolphe d’Udekem.
Parmi les règles édictées [Voir les détails des règles édictées dans le document publié par la SEC], il est par exemple admis désormais qu’une société puisse réunir une somme maximale d’un million de dollars, sur une période de 12 mois, en faisant appel au crowdfunding de type equity (prise de participation au capital), éventuellement en sollicitant plusieurs plates-formes. Pour rappel, la limite autorisée en Belgique est actuellement de… 100.000 euros.
Outre-Atlantique, une limite est également imposée aux investisseurs: sur une période d’un an, ils doivent limiter la valeur des actions qu’ils acquièrent via crowdfunding (plusieurs plafonds ont été définis en fonction de leurs revenus annuels, le plafond maximal étant de 100.000 dollars par an).
A noter au passage que, par la même occasion, les plates-formes américaines qui proposeraient du crowdfunding de type participation au capital, devront s’enregistrer auprès de la SEC.
Assouplir la réglementation
Selon Rodolphe d’Udekem, un cadre [européen] harmonisé est nécessaire pour permettre au crowdfunding d’atteindre une taille critique. “C’est nécessaire tant au niveau macro- que micro-économique. Il faut faire en sorte qu’un maximum de gens soient conscients que ce mode de financement existe et qu’ils en comprennent l’intérêt. Si seulement 2 ou 3% de la population le connaît, on n’atteindra jamais une taille suffisante. Or, les plates-formes sont là pour mettre en rapport l’offre et la demande. Si le pool d’investisseurs est insuffisant, le concept patinera. Par ailleurs, une taille critique est nécessaire pour les plates-formes elles-mêmes. Elles doivent attirer suffisamment de projets et d’investisseurs pour être rentables. La viabilité de leur business model en dépend.”
Rodolphe d’Udekem: “Si seulement 2 ou 3% de la population connaît le crowdfunding, on n’atteindra jamais une taille suffisante. Si le pool d’investisseurs est insuffisant, le concept patinera.”
Chercher à susciter une réelle “masse critique d’investisseurs” apparaît également comme une nécessité aux yeux de Rodolphe d’Udekem en raison de l’inévitable érosion. “Nombre de projets qui se présentent sur les plates-formes de crowdfunding manquent de maturité et ne tiennent donc pas la route très longtemps [voire ne décollent jamais]. De même, la manière dont l’information est présentée aux investisseurs potentiels laisse à désirer. Nombre de projets ne passeraient tout simplement pas la rampe s’ils étaient soumis à l’évaluation de professionnels.”
Il y a donc, à la longue, un risque de déception de la part de la “foule”. Avec des démotivations et un certain degré de désintérêt. Moins la réserve d’investisseurs potentiels sera grande, plus le concept risque de connaître des soucis.
Une législation adaptée – et favorable – pourrait non seulement inspirer davantage de projets et d’investisseurs mais aussi éviter que des projets belges s’en aillent chercher des capitaux participatifs ailleurs (on constate en effet un fort effet d’attractivité de la part de plates-formes telles que les américaines KickStarter et IndieGoGo ou même la française KissKissBankBank – cette dernière venant d’ailleurs d’ouvrir un bureau Benelux à Bruxelles).
Le pourcentage d’investisseurs belges qui participent à des levées de fonds de projets belges qui ont choisi ces plates-formes étrangères reste – relativement – élevé. La “nature” belge du projet n’est donc pas forcément remise en cause. Par contre, ce phénomène soustrait une réserve de fonds disponibles de l’aire d’activités de plates-formes locales, les privant d’une partie de leur potentiel de rentabilité…
Avant d’ouvrir son antenne en Belgique, KissKissBankBank estimait pour sa part qu’environ 56% des projets qu’elle accueille venaient de Belgique.
“Les projets qui ont le moins de raisons d’aller chercher de l’argent ailleurs sont souvent liés à des critères de proximité: lancement d’un commerce de proximité, production d’une chanson, d’un film documentaire…”, souligne Rodolphe d’Udekem. Par contre, d’autres projets à valeur économique plus grande ou de complexité plus prononcée – et les projets IT sont du nombre – ont davantage tendance à s’expatrier… A cet égard, la réputation et le “mix” de projets accueillis jouent évidemment un rôle. Raison pour laquelle les projets IT/Web/numérique ont davantage tendance à prendre la direction de l’américaine KickStarter que de la française KissKissBankBank.
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