Signe des temps, c’est au moment où la Semaine de la Créativité battait son plein, en novembre dernier, qu’une brochette de spécialistes se réunissaient au Malmundarium de Malmédy pour évoquer au cours d’une table ronde le futur des Espaces Publics Numériques en préparation du rendez-vous annuel des animateurs multimédias d’EPN.
Eric Blanchart, chargé de mission EPN de Wallonie: “Si on effectue une recherche en ligne à partir de la combinaison “fracture numérique” et “Belgique”, rien d’actuel n’apparaît. L’expression semble être sortie complètement du radar.”
Parler d’inclusion plutôt que de fracture
Gérard Valenduc, directeur de recherche à la Fondation Travail-Université: “La diffusion d’Internet s’est poursuivie à un rythme soutenu: on est passé, pour la tranche d’âge des 15-75 ans, de 58% en 2005 à 77% en 2011. Pour les 25-54 ans, on dénombre actuellement 90% d’utilisateurs réguliers d’Internet. Autrement dit, il n’y a que 10% de la population située dans la pleine période d’activité économique qui n’utilise pas Internet. Au cours de la dernière décennie, on est passé d’une situation de dualisation, c’est-à-dire une société “coupée en deux”, à une situation de marginalisation des non-utilisateurs.”
Gérard Valenduc: “Au cours de la dernière décennie, on est passé d’une situation de dualisation -une société “coupée en deux” – à une situation de marginalisation des non-utilisateurs.”
“C’est pour cela qu’il est plus pertinent de parler d’exclusion dans les poches de la population où elle existe encore et d’inclusion lorsqu’il s’agit de gérer les inégalités d’usage. Il s’agit de favoriser la pleine inclusion sociale par des activités liées au numérique tout en ciblant les dernières poches d’exclusion en matière d’accès”.
Redéfinir les services proposés
Le rôle exact des EPN dans ces deux missions n’est pas clairement défini. Le premier volet concerne des utilisateurs nécessitant un encadrement plus dévolu aux travailleurs sociaux, ce que les animateurs multimédias ne sont pas.
Eric Blanchart: “Le concept de fracture numérique est complètement sorti du radar.”
Si certains d’entre eux multiplient les partenariats avec le tissu associatif et social (maisons des jeunes, collectif d’alphabétisation, travailleurs de rue,…), leur rôle doit rester dévolu à la transmission de relais numériques: les animateurs multimédias sont des médiateurs numériques, pas des assistants sociaux.
La prise en charge du second volet implique une redéfinition des services disponibles dans les EPN. Pierre Lelong, Coordinateur du Pôle Ressources & Diffusion de Technofutur TIC: “L’inclusion sociale doit se faire en amont de l’inclusion numérique. Mais si nous avons une définition claire de la première, la deuxième est plus complexe à cerner. Les outils et les usages évoluent sans cesse et, tous les 18 mois, il faut se reformer aux compétences numériques.”
Pas uniquement des centres de ressources
Eric Blanchart: “En 2005, les missions de l’EPN étaient claires. Aujourd’hui, on a parfois tendance à les réduire au rang de simples centres de ressources numériques. Il est fondamental de rappeler que les EPN ne sont pas là pour encourager la technique mais pour mettre en avant les pratiques et les usages qui vont apporter une valeur ajoutée autour d’un projet ou d’un objectif citoyens.”
Des espaces d’échanges et de rencontres
Michel Jadot, responsable de l’EPN d’Huy: “La fonction des EPN est trop floue au yeux des citoyens. On croit que les EPN sont là pour assurer un accès gratuit à l’information et à Internet, mais on est équipé à la maison. Qu’ils sont là pour former, mais on se croit déjà formé…
Bien sûr, on a plein de petits problèmes, des questions, mais on hésite à pousser la porte d’un EPN pour si peu, on a peur d’embêter. A mes yeux, les EPN sont de plus en plus un lieu d’accès tout public, un espace d’échanges et de rencontres. Nous avons de plus en plus comme mission d’utiliser le numérique pour rassembler des gens autour d’un projet. Et puis il y a toute la question du savoir faire.”
Michel Jadot (EPN Huy): “Nous avons de plus en plus comme mission d’utiliser le numérique pour rassembler des gens autour d’un projet.”
“Nous avons dans notre public des personnes qui ont travaillé avec un ordinateur en entreprise, mais avec des logiciels figés. Ils ont des questions très précises: joindre un message, retoucher une photo, participer à l’animation d’un réseau social. Même chose pour les jeunes qui connaissent Facebook sur le bout des doigts mais sont incapables de poster un CV convenable en ligne. Les contenus traditionnels de formation générique sont de moins en moins pertinents. Il faut proposer des modules micro-ciblés.”
Des guichets multi-tâches
Michel Jadot poursuit: “Voilà pour moi les trois missions des EPN: l’inclusion numérique, la formation et l’animation territoriale. Le tout pourrait être rassemblé sous le concept de guichet numérique. Le grand public saurait alors qu’il peut franchir la porte quand il le souhaite en trouvant quelqu’un habilité à répondre à ses questions. Cela implique d’alimenter les EPN en supports d’information, un peu à l’image des guichets énergie.”
Pierre Lelong embraye: “Cela implique également de réfléchir aux articulations possibles et souhaitables entre les différents acteurs présents sur le terrain. Cela implique d’initier des dynamiques transversales pour favoriser la culture et les emplois numériques qui sont les enjeux de demain.”
A quand la reconnaissance barémique?
Cela implique enfin de reconnaître le statut des animateurs multimédias avec une reconnaissance barémique en souffrance depuis de nombreux mois au sein de l’administration de la Région wallonne.
“Les jeunes connaissent Facebook sur le bout des doigts mais sont incapables de poster un CV convenable en ligne.”
Initiés par la Ministre Marie Arena et soutenus par le Ministre Philippe Courard, les EPN sont un peu les parents pauvres de l’informatique publique citoyenne sous la houlette de la présente législature. Les citoyens sont pourtant de plus en plus confrontés à des problématiques et questions liées avec le numérique: à côté de l’égalité d’accès et d’usage, il y a tout ce qui tourne autour de la la sécurité, de la protection de la vie privée, du respect de la propriété intellectuelle et des droits d’auteur. Il y a les questions de tarification, de choix d’infrastructure et de technologies fixes et mobiles… Autant de thématiques qui relèvent de nombreux niveaux champs de compétences: action sociale, égalité des chances, emploi, économie, sécurité des personnes au sein des différents niveaux de pouvoir. Et de différents “niveaux” de financement…
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