Usman Haque: quand la technologie dé-responsabilise

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Par · 27/11/2013

Invité du récent Festival numérique KIKK 2013, Usman Haque y était venu parler des environnements urbains modernes, de leur transformation en entités prétendument plus “intelligentes” et des obstacles et défis qu’ils impliquent.

Usman Haque n’est pas un acharné des “smart cities”. Même si le terrain d’action de sa société – la britannique Umbrellium – est bel et bien la transformation de nos cités et mégalopoles modernes (1). Il se méfie beaucoup et met en garde contre le smart washing ambiant, contre cette vérité nouvelle que l’on tente de nous imposer et qui veut qu’il faut à toute force “rendre la ville intelligente.” Au travers de solutions parfois surfaites, irréalistes, démesurées, voire inutiles.

“Quel intérêt cela a-t-il par exemple de nous vanter une solution qui nous permettrait de traverser une rue sans regarder à gauche et à droite, sans nous soucier de la circulation, parce qu’une lumière s’allumant sous nos pieds nous indiquerait que l’on peut traverser en toute sécurité?”

Faut-il vraiment optimiser la ville comme si c’était un problème à résoudre?”, s’interroge-t-il encore.

Ponce Pilate 2.0

Autre mise en garde: “Gare à cette idée de vouloir tout contrôler et surveiller en mettant des capteurs partout.” Cela ne peut que déboucher vers une société de “données-spectacle”. Plus il y aura de données créées, collectées et triturées, plus l’effet “spectacle” sera renforcé. “Big data = big spectacle”.

Gare aussi aux effets pervers que cela pourrait entraîner: “le big data, c’est aussi quelque chose qui contribue au confort des décideurs dans la mesure où ils ne sont plus responsables des décisions qui sont prises. Les données générées par les capteurs prennent elles-mêmes les décisions…” Du Ponce Pilate 2.0…

Ce que Usman Haque veut souligner en jouant un rien les provocateurs, c’est qu’il est vain, voire “contre-productif” de donner le pouvoir aux “choses”, aux objets, de générer des données à tire-larigot, si on ne peut maîtriser ces flots numériques. L’homo sapiens peut certes y trouver une aide appréciable pour toute une série de situations, mais il risque aussi d’être totalement dépassé par ce qu’il aura contribué à créer (ou laissé se créer).

“On ne peut se contenter d’être un consommateur [passif] de données. Il faut jouer un rôle de producteur, amener le citoyen à participer dynamiquement.” Ce qu’il appelle le “people-active citizenship”.

Les conditions d’une citoyenneté active

Lors de son exposé au KIKK Festival, Usman Haque rappelait cinq conditions qui sont à ses yeux nécessaires si on veut éviter que la perspective des “villes intelligentes” se transforme en cauchemar ou en univers stérile. Cinq manières de responsabiliser et d’impliquer chaque citoyen. Cinq conseils et méthodes qui peuvent apparaître comme des évidences mais qui, parfois, sont totalement oubliées dans les scénarios qui se préparent.

Prendre en mains les rênes des données. Il faut permettre aux individus non pas de créer des données mais de créer du “signifiant” – “don’t make data, make sense”. Créer des données sans donner aux gens les moyens, les outils, les aptitudes nécessaires à leur compréhension et interprétation en vue de changer les choses n’a évidemment aucun sens. “L’important n’est pas de multiplier les données sur la pollution ambiante mais de savoir quels sont les échanges qui s’instaurent entre les individus au sujet de ces données.”

Usman Haque: “Le principe est celui d’un dialogue qui s’engage afin de responsabiliser chacun et de bâtir ainsi un système participatif.”

S’impliquer dans les processus de conception et de réalisation. “Les gens doivent construire eux-mêmes”, mettre la main à la pâte.

Réaliser des choses sortant de l’ordinaire. Pour laisser son empreinte. “Lorsqu’un grand nombre d’individus s’impliquent dans la création de quelque chose sortant de l’ordinaire, ils bâtissent des souvenirs communs extraordinaires. Cela restera marqué dans les mémoires”, restera présent dans les esprits. Servant ainsi d’inspiration et/ou d’incitation à faire de même.

Prendre des décisions. Aux yeux d’Usman Haque, rien de tel pour impliquer les gens que de les amener à prendre leurs responsabilités. Pour les motiver à créer des données “actionnables”, à échanger, coopérer, s’imbriquer dans une toile intelligente, il faut qu’il y ait non seulement une carotte mais aussi un bâton. Il prenait l’exemple d’une surveillance plus précise et rigoureuse (via des capteurs et des solutions IT, par exemple) de nos consommations électriques privées.

Un projet-pilote a par exemple imaginé que le simple fait, pour un individu, d’allumer inconsidérément son éclairage domestique ait un impact sur des biens appartenant à des voisins ou personnes vivant dans son entourage ou sa communauté (même virtuelle). Une solution de surveillance électronique, pilotée dans le cloud pour cette communauté, permet ainsi de surveiller les taux de consommation et de “punir” toute débauche énergétique en pénalisant les autres membres de la communauté. Que ce soit par exemple en leur interdisant d’allumer leurs propres équipements au même moment ou – plus pervers – en déclenchant un dispositif qui… tue leurs plantes vertes. Loufoque? Pas tellement si l’on considère que ces autres membres de la communauté auront vite fait de réagir et de tomber sur le poil du fautif… “Le principe”, explique Usman Haque, “est celui d’un dialogue qui s’engage afin de responsabiliser chacun et de bâtir ainsi un système participatif.”

Imaginer et réaliser l’avenir. “Ne vous contentez pas de spéculer, de vous perdre en conjectures au sujet de l’avenir. Faites des expérience qui le préparent.”

(1) Umbrellium réunit une équipe d’architectes, de designers, de commerciaux et de “technologues créatifs” qui développent des produits, logiciels et solutions destinés à favoriser l’implication “citoyenne” (tant celle des particuliers que des entreprises) dans l’évolution des environnements urbains “connectés”. Environnements “réactifs”, dispositifs et équipements connectés, solutions logicielles autorisant l’interaction entre l’individu et son environnement.

sman Haque, pour sa part, est aussi à l’origine du Pachube, service qui permet de stocker des données provenant de capteurs du monde entier et de les utiliser pour déclencher facilement des actions. Racheté par LogMeIn et rebaptisé Xively, ce service dans le cloud permet de stocker, partager et consulter des données temps réel provenant de capteurs, de dispositifs en tous genres. Dans le droit fil de l’Internet des Objets. Les différents projets qui sont hébergés dans Pachube peuvent s’interconnecter de telle sorte à procéder à des échanges de données et d’expériences “par exemple entre un projet d’immeuble intelligent et des dispositifs interactifs situés n’importe où ailleurs dans le monde. L’échange de données se fait entre projets et objets. La collecte vers le point central qu’est le Pachube s’accompagne aussi de “flux” en sens inverse, pour une redistribution de l’information et l’insertion par exemple des données collectées dans des sites et pages Web. La plate-forme procure en outre une série d’outils qui permettent de créer des applications et des services Web. Ils ont par exemple déjà été utilisés pour développer des systèmes d’enregistrement de données de capteurs, des applis de télésurveillance, des composants de systèmes de gestion technique d’immeubles, des solutions de géolocalisation ou pour créer des réseaux communicants d’objets. Retour au texte