Ville de Bruxelles: un bon petit début

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Par · 30/10/2013

La Ville de Bruxelles a entamé son virage vers les open data en février 2012. A l’heure actuelle, une trentaine de jeux de données sont mis à disposition de tiers via une section du site de la Ville. 

Quelques exemples : listes de bibliothèques francophones et néerlandophones, parkings, installations sportives, distributeurs bancaires, écoles francophones et néerlandophones, auberges de jeunesse, maisons de quartier, bureaux de police. Ou encore des parcours BD pour circuits touristiques. Ou encore, de manière beaucoup plus pragmatique, la liste des… toilettes publiques. “Quels que soit le pays ou la ville, cette dernière catégorie figure souvent, avec les données de mobilité, parmi les jeux de données qui sont soit mis en priorité à disposition, soit les plus demandés”, souligne Philippe Allard dans un sourire.

Des services encore à motiver

“Il n’y a pas en Belgique la même culture du partage que l’on peut rencontrer en France”, regrette Philippe Allard, chef de projet au GIAL (centre de gestion informatique des administrations locales bruxelloises).

“Avec la mise à disposition des premiers jeux de données, nous avions espéré inciter les différents services administratifs à suivre le mouvement”, déclare Philippe Allard. Il n’en fut rien. A quelques exceptions près, notamment du côté de la police.

“On nous oppose souvent que cela implique une surcharge de travail pour l’Administration. Or, il n’en est rien. Des données tels que les mouvements de population migratoire, l’augmentation du nombre de mariages ou de divorces, sont des choses qui existent, qui figurent dans les rapports annuels. Le problème- le vrai-, c’est qu’il s’agit de documents figés.”

Autre réaction conservatrice qu’il lui arrive d’entendre: “si quelqu’un a envie ou a besoin d’une information, il finira bien par nous la demander et il l’obtiendra.” Problème d’approche et d’attitude, une fois encore, regrette Philippe Allard: “pourquoi doit-on toujours être dans la culture de l’effort, exiger des personnes qu’elles formulent la demande, alors qu’on pourrait être dans de la mise à disposition spontanée?”

Des usages encore aux abonnés absents

L’engouement pour les open data est encore mitigé, sans doute en partie parce qu’il n’y a pas encore d’exemples, localement, de projet ou d’appli originale, réellement utile, largement exploité(e).

C’est la raison pour laquelle Philippe Allard milite pour la mise en œuvre d’une véritable plate-forme open data municipale (à la manière de ce qui existe, encore sous forme élémentaire, à Gand, Anvers, ou Courtrai). Mais une plate-forme qui soit conçue de telle sorte à rendre l’utilisation et l’exploitation des données ouvertes réellement faciles… et contagieuses.

Au-delà d’un simple listing des jeux de données disponibles, de préférence dans des formats suffisamment utiles et multiples (xls et .csv actuellement; KML, demain), la plate-forme bruxelloise devra aussi, selon lui, garantir une visualisation attrayante et utile des données. Via des cartes, des “pearlrees” (représentation graphique de données selon des analogies sémantiques), des “heat maps”

Philippe Allard: “On nous oppose souvent que cela implique une surcharge de travail pour l’Administration. Il n’en est rien. Le problème- le vrai-, c’est qu’il s’agit de documents figés.”

L’une des pistes serait aussi de mettre en exergue les applications (d’où qu’elles viennent) qui exploitent ces jeux de données. Qu’il s’agisse d’applis génériques ou de solutions spécifiquement développées pour les jeux de données concernés. Histoire d’en inspirer d’autres en apportant des preuves concrètes de leur utilité. “Et même si les développeurs ne s’en inspirent pas, montrer ce genre d’exemples permet d’autoriser les gens à “jouer” avec les données, à l’aide de cartes, d’outils de visualisation.”

Pour l’heure, le site open data de la Ville de Bruxelles n’attire pas encore les foules. Trop peu connu sans doute. Un formulaire électronique permet certes au citoyen de proposer des jeux de données qui lui paraît utile d’ajouter mais il n’a pas encore été très utilisé. Le GIAL, lui, espère que cette demande s’exprimera avec plus de vigueur: “citoyens et entreprises doivent réclamer des jeux de données.” Cela aura alors pour effet d’éveiller les responsables des différents services.

Dans l’état actuel des choses, le GIAL ne prendra pas lui-même l’initiative de développer des applications exploitant les data sets. “Ce n’est pas la priorité de la Ville. C’est plutôt le rôle de passionnés ou d’entreprises…”

Chacun pour soi, ou presque

Confirmation par ailleurs qu’il n’y a pas réellement de consultation, et moins encore de concertation et de coordination entre détenteurs de données publiques, même lorsqu’ils se trouvent sur un même territoire géographique et évoluent dans des sphères similaires. Lorsqu’il s’est agi de choisir une licence,  le CIRB, organisme responsable de l’IT pour la Région de Bruxelles-Capitale (du moins pour 17 des 19 communes de la zone) et Bruxelles Mobilité n’ont pas pris langue avec le GIAL, constate Philippe Allard.

Pas de contact direct, pas de concertation, mais un choix qui est malgré tout identique puisque les deux organismes se sont inspirés de la licence utilisée par la ville française de Rennes. 

Le GIAL, pour sa part, ne s’est pas davantage préoccupé des choix des villes de Gand ou d’Anvers, qui, pourtant, s’étaient lancées dans les open data avant Bruxelles (de peu, certes, pour ce qui concerne Anvers).

Philippe Allard n’y voit toutefois pas de problème fondamental: “Il ne faut pas faire une fixation de la problématique des licences (1). C’est relativement accessoire par rapport à d’autres problématiques. Le plus important, en effet, est d’alimenter le site ou la plate-forme en jeux de données.”

Et en la matière, il s’agit aussi de veiller à la qualité des données, tant dans le fond que dans la forme. “Un frein au développement de l’open data est sans nul doute l’imprécision des données.” En ce compris, celle de certaines données géomatiques…

Le choix de la gratuité

En optant pour la licence déjà implémentée à Rennes, Bruxelles a clairement voulu favoriser la mise à disposition gratuite des jeux de données. Toute réutilisation doit être faite dans un esprit d’ajout de valeur (1), en ce compris via croisement de jeux de données. Qui du prix auquel le réutilisateur ou le développeur peut “revendre” les données?

La Ville ne compte pas par ailleurs exercer une vigilance étroite de l’usage qui en sera fait. “Si l’un ou l’autre ré-utilisateur exagère par exemple en vendant trop cher son produit ou son service, le marché rétablira de lui-même la situation puisqu’il se trouvera sans doute bien vite quelqu’un pour proposer un service équivalent gratuit ou moins cher…”

S’il “ne faut pas faire une fixation de la problématique des licences”, comme le dit Philippe Allard, il y aurait toutefois intérêt à viser une certaine harmonisation. Histoire d’éviter que le réutilisateur potentiel de jeux de données ne doivent jongler avec diverses licences lorsqu’il veut utiliser, voire réexploiter pour en faire une solution nouvelle, des jeux de données relevant de différentes licences- qui ne seront pas forcément “sémantiquement” compatibles.

Pour plus d’informations sur les éléments à prendre en considération lorsque l’on choisit une licence open data, lire l’article de Philippe Laurent: “Open data: sous quelle licence les proposer?”

(1) La définition que donne l’Europe de la réutilisation est la suivante: “‘utilisation sous de nouvelles formes, en y ajoutant de la valeur, ou en combinant des informations venant de diverses sources génératrices de valeur ajoutée.” Exemples: des données telles que cartes numériques, données légales, financières… qui seraient utilisées par, ou intégrées dans, de nouveaux produits ou services (systèmes GPS, prévisions météorologiques, services financiers…).