Bien souvent les entreprises font de l’open source comme elles font de la prose: sans en avoir conscience. Un cliché- et une réalité- bien connus et qui n’ont rien de neuf. “Trois quarts des entreprises utilisent des solutions open source à des degrés divers, sans en avoir conscience. Sans même que leur département informatique le sache”, rappelle Robert Viseur, ingénieur de recherche au CETIC, notamment spécialiste de l’open source. La faute à toutes ces solutions open source qui ont envahi les “couches basses” de l’IT: navigateurs Internet, Apache, gestion d’infrastructure Web et réseau, bases de données…
Ce n’est évidemment pas cette face cachée, ignorée, de l’open source qui nous intéresse ici mais plutôt celle qui est le résultat de décisions volontaires, raisonnées et documentées.
Avec le temps, l’open source s’est rapproché toujours plus du coeur de métier des sociétés et organisations qui l’utilisent. Il a ainsi investi la majorité des grands domaines fonctionnels: ERP, e-commerce, portails, CMS…
Un univers qui exige évidemment des compétences autres que celles que déployaient au début les développeurs et communautés open source planchant sur des solutions de gestion d’infrastructure ou d’applications génériques. “Il s’agit de capter les besoins des clients en termes de processus métier, de se rapprocher le plus possible des besoins spécifiques et cela contraste avec les approches plus génériques, du genre “fonctionnalités valables pour la grande majorité des utilisateurs”, qu’adoptent certains acteurs”, souligne Gaëtan Delannay, de GeezTeem.
Ce fut d’ailleurs là l’une des raisons qui lui ont fait prendre quelque peu ses distances avec l’intercommunale IMIO, pour qui il travaillait, et lancer sa propre “fourche” de la solution PloneMeeting (voir l’article sur GeezTeem). “IMIO propose une série de produits mais n’opère pas “sur-mesure” pour les communes. Je veux, pour ma part, coller aux besoins de chaque commune, leur proposer un logiciel de base et des plug-ins plus spécifiques, adapter chaque instantiation du logiciel. Aujourd’hui, quand un client [au sein d’une commune] veut faire évoluer la solution ou un module qu’il a trouvé sur Internet, il s’aperçoit qu’il ne maîtrise pas toute une série de choses. Il lui fait entrer dans toute une série de communautés différentes pour réussir à adapter les modules qui l’intéressent. Cela a évidemment une limite. C’est la raison pour laquelle, j’ai décidé de créer mon propre framework afin de tout maîtriser” et, donc, de répondre aux sollicitations des clients.
Briques manquantes?
Les principaux besoins, actuellement, se situent notamment dans le champ de l’interopérabilité entre solutions et modules, de formats de fichiers à orchestrer… Il y a donc place pour des concepteurs de modules, de web services… Ce que Patrick Charbonnier, directeur-associé chez PC Sol, appelle des “micro-éditeurs”.
Au-delà de la problématique de l’intégration et de la création de modules complémentaires que reste-t-il comme axes d’innovation où un nouvel éditeur ou une nouvelle communauté pourrait prendre pied? Robert Viseur identifie deux terrains potentiellement intéressants pour des acteurs locaux: le monde de l’embarqué (embedded systems) et le GIS (geographic information systems).
L’hyperspécialisation est une autre possibilité. A savoir, se positionner sur une problématique et/ou une compétence très pointue. Il cite l’exemple de ce développeur indépendant qui avait fait une spécialité du développement de drivers webcam pour la plate-forme ARM. Aujourd’hui, son expertise lui a permis d’évoluer vers le développement d’un microscope apte à prendre des photos grâce à ce type de mécanismes. “Les sociétés sont souvent prêtes à payer cher ce genre de développement”- pointu mais porteur. Et d’autant plus “monnayable” que la compétence est rare.
“Se positionner sur une “niche” technologique est intéressant”, confirme Jacques Gripekoven, directeur général d’EyePea, “surtout lorsque l’on démarre. L’investissement de départ est faible puisqu’il suffit de télécharger des éléments de code existants, sans coût de licence, sans nécessité d’obtenir une certification de la part d’un éditeur. Toutefois, pour être réellement compétent et offrir des services professionnels, il faut accumuler de l’expérience. Et donc du temps, qui n’est pas gratuit. Il faut aussi monter ses propres plates-formes de test.”
Se lancer dans un nouveau champ fonctionnel est donc plus aisé en open source– les briques logicielles de base sont disponibles et peuvent être assemblées- mais, prévient Ludovic Gasc d’EyePea, “ce n’est pas du tout cuit. Il faut préparer sa propre cuisine…”
La difficulté, lorsqu’un créateur (ou éditeur) choisi un créneau fonctionnel ou technologique, est la mise en place d’une communauté suffisamment nombreuse et active. La rareté, en la matière, n’est pas un avantage dans le modèle open source. Le “créneau” a dès lors intérêt à être… suffisamment transversal. Autrement dit, la solution (fonction ou technologie) doit pouvoir être déployable dans un maximum de secteurs d’activités, de “verticals”. “Inutile de développer un ERP open source pour le secteur alimentaire bovin, en turc…”, ironise Jacques Gripekoven. “Combiner niche technologique et niche géographique ne marche jamais.”
Ecosystème local
Sur l’ensemble de la Belgique, on répertorie, selon Robert Viseur, une bonne centaine d’acteurs. Aux positionnements et envergure fort variables.
Cartographie des implantations d’acteurs open source, réalisée par Robert Viseur, du CETIC.
L’éditeur le plus connu et le plus important, côté francophone, est sans aucun doute OpenERP, qui a réussi une belle petite percée à l’international.
Le gros du secteur est fait de plus petits éditeurs, de développeurs indépendants, de sociétés de services (intégrateurs et consultants).
Du côté du secteur public [comme vous le verrez en lisant l’article que nous y consacrons], la situation n’est pas forcément plus homogène. Pas de véritable ténor au profil de pure player [une société qui ne ferait que de l’open source pour le secteur public] mais des acteurs, tels NSI, qui ont ajouté un chapitre open source à leur catalogue.
L’intercommunale IMIO, elle non plus, n’est pas un véritable pure player. Même si sa raison d’être principale est de favoriser la mutualisation des solutions entre pouvoirs locaux (communes, CPAS…), elle ne snobe pas les solutions commerciales pour autant. L’open source, toutefois, est sa ligne de conduite pour tout ce qui est développement de nouvelles applications (métier, notamment).
Un secteur pas structuré
Contrairement à la France où l’on dénombre quelques associations (APRIL, Adullact, CNLL) (1), le secteur open source belge (voire francophone) ne s’est pas “structuré”. Trop maigrichon encore pour ce faire? “On se connaît. On sait qui sont les talents”, propose Damien Hubaux, directeur du CETIC, en guise de possible explication. “Et une association serait peut-être mal perçue [Ndlr: étant potentiellement antinomique avec l’esprit de communautaire libre] et risquerait plutôt de faire fuir tout le monde.”
Robert Viseur évoque une autre raison potentielle: “les acteurs français sont plus spécialisés. Ils ont donc besoin de davantage de complémentarité [entre eux] en termes de compétences à mettre en oeuvre. En Belgique, on a davantage affaire à des généralistes qui sont peut-être moins à la recherche de collaborations.”
Toutefois, la création d’une association pourrait avoir des avantages non négligeables, tels que la mise en oeuvre d’une cartographie du secteur, d’une étude sur ses ressorts et potentiels. Sans oublier un rôle de porte-voix par rapport aux décideurs publics qui sont davantage “consommateurs” de libre que la moyenne des acteurs privés.
(1) April: organisation de promotion et de défense du logiciel libre (France)
Adullact: Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales (France)
CNLL: Conseil National du Logiciel Libre, qui fédère 11 clusters régionaux consacrés au logiciel libre et représente plus de 300 entreprises.
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