Ces derniers temps, les initiatives d’encadrement de projets d’entrepreneurs semblent surgir de terre comme des champignons. Vague éphémère? Opportunisme de certains qui sentent le bon filon, côté “buzz” et financement public? Début d’un phénomène qui pourrait se muer en mécanisme bien huilé alimentant un nouveau terreau économique pour nos régions? Ces initiatives- qu’elles s’appellent Boostcamp, Startup Weekend, Nest’Up ou autres- portent-elles leurs fruits, répondent-elles aux attentes (et aux promesses)? Il est encore trop tôt pour répondre de manière objective et documentée à cette dernière question mais cela n’empêche pas de recueillir les premières sensations de ceux qui “sont passés par là”.
C’est ce que nous avons fait en rencontrant deux “starters” qui ont “expérimenté” à la fois un Startup Weekend et l’accélérateur Nest’Up. A savoir: Jean-Marc Poncelet pour BetterStreet (voir son interview – en accès Premium, réservé à nos abonnés) et Gary Gaspar pour SwipeFeed (qui s’appelait à l’origine WeezBook). Avec comme particularité supplémentaire pour ce dernier qu’il a aussi participé, entre les deux autres programmes, au Boostcamp de Microsoft Innovation Center.
Ces jeunes entrepreneurs en ont-ils retiré quelque chose de tangible? Auraient-ils pu faire tout aussi bien sans ces structures d’“activation”?
Première question posée: quelles furent les raisons qui vous ont poussé Gary Gaspar et Jean-Marc Poncelet à participer au Startup Weekend de Liège (2012) et ensuite à Nest’Up? qu’en attendaient-ils? leurs attentes ont-elles été satisfaites, déçues?
6 mois. 3 étapes. 1 idée. 2 projets
2012. Gary et Alex Gaspar, deux jeunes Liégeois – deux cousins – planchent sur une petite idée de “recommandation en-ligne de bonnes lectures”. Une idée assez brute encore, sans savoir trop bien comment faire. Un jour, au BetaGroup, ils entendent parler d’un événement assez bizarre: une sorte de mini-épreuve d’endurance de 54 heures pour lancer une start-up.
Dès cet instant, les choses, pour le duo, allaient s’enchaîner et les amener quelque 6 mois plus tard à se retrouver avec un projet fondamentalement modifié.
Le projet de départ (recommandation de livres), c’était WeezBook. Le projet qui a finalement émergé et qui devrait se concrétiser, via l’AppStore d’Apple, en cette fin d’été, c’est SwipeFeed, une appli qui permet de trier et de filtrer les flux Twitter de manière personnalisée et pertinente.
Entre les deux, trois étapes qui auront, chacune à leur manière, joué un rôle déterminant: le Startup Weekend de Liège, fin 2012; un passage par le Boostcamp du MIC, grâce au “prix des experts” décroché lors du Weekend; et, enfin, l’accélérateur Nest’Up, au printemps 2013.
“Nous n’avions pas planifié un tel enchaînement. L’agenda s’est créé de lui-même”, indique Gary Gaspar.
Des étapes bien typées
Chacune des étapes d’“incubation” franchies a eu ses particularités. Le cheminement n’allait pas être un long fleuve tranquille, mais avoir plutôt un petit goût de procession d’Esternach: trois pas en avant, deux pas en arrière.
Premier palier: un week-end
Gary Gaspar (WeezBook/SwipeFeed): “il vaut mieux bien faire quelque chose, même à moitié, plutôt que de ne rien tenter.”
Contrairement à ce que son appellation peut laisser supposer, le Startup Weekend n’est pas (ou pas forcément) l’endroit où un projet se mue, d’un coup de baguette magique, en une structure de jeune pousse. Trop court, trop concentré.
“Nous nous étions inscrits dans l’espoir d’accélérer le projet, de faire autant en 54 heures que ce que nous aurions peut-être pu faire, dans notre coin, en un mois. Notre espoir était de trouver à nous entourer, de créer une équipe qui viendrait compléter nos propres compétences, de rencontrer des gens qui pourraient nous donner un coup de main. Côté équipe, nous n’avons pas pu concrétiser parce que certains n’étaient pas intéressés à continuer avec nous, n’avaient pas le temps, ou n’avaient pas les compétences que nous attendions. On a en effet surtout côtoyé des profils marketing ou business mais pas des profils techniques…”
Résultat: le duo est resté un duo. Quant à l’idée de départ, elle en est sortie un rien décantée. Mais loin d’une certaine stabilité. L’expérience du Startup Weekend “a quelque chose de grossier mais dans le bon sens du terme”, souligne Garry Gaspar. “Le message que nous ont fait passer l’équipe d’encadrement, c’est de ne pas réfléchir mais de foncer. Cela nous a donné l’envie de continuer, la conviction qu’il vaut mieux bien faire quelque chose, même à moitié, plutôt que de ne rien tenter”.
Deuxième palier: un bootcamp
L’attente par rapport au Boostcamp du MIC- étape suivante- était d’en sortir avec une idée davantage concrétisée: “nous sommes arrivés avec quelque chose sur papier, un projet plus ou moins échafaudé. Le Boostcamp nous a procuré une formation générale au business. Nous en sommes sortis avec une première version. Nous étions satisfaits dans la mesure où cela nous avait permis de “délivrer” quelque chose.”
Sentiment relativement trompeur d’ailleurs puisque ce produit “quasi opérationnel” allait s’avérer difficile à concrétiser réellement. Le Boostcamp n’avait en effet pas mis (ou pas permis de mettre) le doigt sur ce qui allait s’avérer être une faiblesse essentielle. “Nous ne savions pas comment faire connaître le projet”, comment lui donner la visibilité nécessaire à un début de buzz, voire d’adoption.
Dès les premières semaines du programme d’accélération Nest’Up, la prise de conscience allait être rude, implacable: “nous n’étions pas entrés suffisamment vite en contact avec les utilisateurs potentiels, avec la cible.” En fait, l’idée n’avait été testée que sur un groupe d’amis proches. Avec tous les risques de jugement partiel voire partial que cela peut impliquer. “Très tôt, lors du Nest’Up, nous nous sommes aperçus que nous ne pouvions mener de front la création de l’offre [à savoir, le produit, la plate-forme de recommandation de lectures] et la création de la demande.”
D’où la décision radicale, comme on le verra plus loin, d’un pivot à 180°. WeezBook allait passer à la trappe pour faire place à une toute autre idée de projet. “Nous devions imaginer un nouveau produit afin de nous concentrer sur un seul côté du défi.” Autrement dit, un projet dont le public-cible soit clair, identifié dès le départ. Quasiment de manière automatique.
Gary Gaspar en a tiré une leçon: “il y a deux choses importantes pour toute start-up: la proposition de valeur et savoir comment la faire connaître.” La seconde manquait à WeezBook.
Troisième palier: un huis clos… ouvert
“Nest’Up nous a fait nous poser les bonnes questions. A commencer par: comment allez-vous faire? Il nous a appris à structurer le projet, étape par étape, à sortir un véritable délivrable.”
Il a aussi ouvert des pistes. Contrairement à d’autres porteurs de projets, le duo SwipeFeed n’espérait pas des contacts avec des investisseurs potentiels (pas tout de suite en tout cas) ou de nouvelles compétences en développement. Par contre, ce qui l’a intéressée, ce furent le fait d’avoir accès aux réseaux des coachs. “Une preuve de confiance de leur part” mais aussi une obligation de ne pas décevoir.
Perfectible?
Quelles sont les choses qui, selon Gary Gaspar, pourraient être améliorées, ne serait-ce qu’en termes de continuité, de cohérence entre ces divers programmes? “Ils n’ont pas été imaginés pour s’emboîter. Il y a donc parfois des redondances mais il est parfois bon d’avoir certaines redites…”
Chacun pourrait peut-être mettre davantage l’accent sur ce qui fait sa particularité ou son objectif. Au Startup Weekend de “planter la petite graine”, de donner l’envie d’oser, de convaincre, “comme Leo Exter le fait si bien”, que “si vous le voulez, vous pouvez y arriver.”
Au Nest’Up, le soin d’amener une idée à maturation, au seuil du grand plongeon dans la réalité.
Un meilleur compartimentage des rôles n’implique pas forcément la pose de cloisons hermétiques. Les redites et répétitions de messages sont parfois essentielles pour ancrer certains concepts ou réflexes. Pour développer certains thèmes qui n’ont été qu’effleurés par les autres initiatives. Exemple? Le fameux “Business Model Canvas”. “On en a fait un peu au MIC, un tout petit peu au Startup Weekend et… un millier au Nest’Up. Cela nous a permis, aujourd’hui, de comprendre qu’il est important de bien structurer, d’expliquer l’idée, de savoir où on va.”
L’expérience, en trois étapes, n’évoque pas de critique fondamentale de la part de Gary Gaspar: “Je ne blâmerai jamais un encadrement ou une initiative. Ou, d’ailleurs, un manque d’initiative. C’est à l’entrepreneur de foncer, de prendre les bonnes décisions. Je ne blâmerai par ailleurs jamais ce genre d’initiative car, sans eux, nous serions toujours en train de travailler sur un produit qui n’a peut-être pas d’avenir et nous aurions sans doute perdu notre motivation. Autre raison: ils nous ont sorti de notre zone de confort. Aujourd’hui plus que jamais, dans le monde des développements technologiques, il est aisé de se cacher dernière son PC, de développer quelque chose et de se contenter d’espérer que quelqu’un l’utilise. En fait, il n’y a pas de raccourcis. Tout ne se passe pas derrière l’écran de l’ordinateur…”
Si Gary Gaspar n’émet donc aucune critique, il formule par contre un espoir. Ce qui manque, à son avis, c’est “un petit budget, alloué aux porteurs de projet, pour développer leur idée, avancer plus vite sur certaines choses. Par exemple “quelques milliers d’euros pour se lancer, pour se faire connaître, pour financer le déplacement au Web Summit de Dublin.”
Personne ne le fera à votre place
Un sentiment mitigé que Gary Gaspar a ressenti au lendemain du Startup Weekend, et qui allait se reproduire plus tard, à l’occasion du programme Nest’Up, c’est qu’il n’y a pas trouvé la boussole espérée. “Les conseils qu’apportent coachs et mentors vont dans tous les sens, se contredisant parfois. J’en étais un peu frustré au début. Aujourd’hui, je suis persuadé que c’est la bonne approche. Leur job est de nous aider (nous les starters) à prendre des décisions, de nous donner des conseils, des idées, des opinions. L’un des boulots les plus durs pour un starter est de déterminer quelle décision prendre”.
Et cela se fait, selon lui, au feeling. Surtout ne pas faire la moyenne des opinions récoltées, “parce que cela vous amènera uniquement à du grand n’importe quoi”. Il faut plutôt “faire le tri, en faisant confiance à son instinct. Personne, en effet, ne connaît mieux le projet que celui qui le porte. Il faut tester les idées, voir si elles marchent.” Et les abandonner dès que possible si l’expérience ne donne rien.
Gary Gaspar (SwipeFeed): “c’est à chacun d’avoir l’envie, le désir d’aller jusqu’au bout. Personne ne fera jamais rien à votre place. Multiplier les initiatives [d’accompagnement] n’y changera rien.”
Le rôle joué par les différents coachs et mentors n’est pas forcément le même selon qu’il s’agisse d’un Startup Wekend, d’un Boostcamp ou d’un Nest’Up. Même si – et c’est là un point qui exigera sans doute que les choses se structurent ou s’objectivent à l’avenir – même si on retrouve parfois les mêmes têtes dans les différents programmes.
Mais pour Gary Gaspar, l’un des éléments qui ont favorisé la maturation de son projet est le fait d’avoir “eu le bon coach au bon moment, et dans le bon ordre”. Au Startup Weekend, son rôle était surtout de “mettre le pied du starter à l’étrier. Il ne nous a pas aidé de manière concrète, n’a pas esquissé de plan d’action. L’encadrement se situait plutôt sur le plan émotionnel”. A savoir: encourager le starter à aller de l’avant: “fais-le… même si ce ne sera pas forcément bien.” Le coach, à ce stade, agit surtout au niveau de la personnalité de l’entrepreneur”.
Ce n’est qu’ensuite, lors du Boostcamp et plus encore avec Nest’Up, que le coach a esquissé la marche à suivre, a défini les étapes à franchir. Pas à pas. “A ce stade, le coach se concentre davantage sur le projet et l’opérationnel”.
Pivotement radical
Dans le cas du projet des deux cousins, ce qui frappe avant tout est le fait que le projet de départ – WeezBook – qui avait pourtant été affiné lors du Boostcamp (le duo en est sorti avec un prototype) a été purement et simplement abandonné lors du passage dans l’accélérateur Nest’Up.
Après environ 3 semaines, la décision a en effet été prise… d’arrêter les frais et de trouver une autre idée.
Que s’est-il passé?
“Ce ne sont pas les coachs qui nous ont obligé à changer de projet. Même si le message était sans doute subliminal… En fait, dès le départ du programme, l’équipe d’encadrement nous a amenés à nous poser les bonnes questions. Et nous nous sommes rapidement rendus compte que nous ne maîtrisions pas la création simultanée de l’offre et de la demande, que notre projet n’aboutirait pas…”
Retour donc à la case départ… ou presque. “En termes de projet, nous avons en effet redémarré à zéro. Par contre, en tant qu’entrepreneurs, ce qui avait grandi en nous depuis un an n’a pas été remis à zéro. En effet, nous avons tellement appris pendant cette année.”
Remettre le projet totalement à plat fut une expérience “très émotionnelle”, reconnaît Gary Gaspar. “C’était en effet six mois de travail qu’on jetait à l’eau. Mais ce fut aussi une bonne chose. Sans Nest’Up, nous en serions toujours sans doute à plancher sur l’ancien projet, qui était moins bon.”
A lire dès demain, l’interview de Jean-Marc Poncelet (BetterStreet). Avec, comme vous le verrez, bien des points de convergence avec l’expérience vécue par SwipeFeed, mais aussi un regard un rien plus acéré sur les conditions d’éclosion de start-ups locales.
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