Silicon Valley vs Belgique: des mondes si différents

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Par · 28/06/2013

“L’inspiration est grande en Californie. Quel rétrécissement d’esprit que de rentrer en Belgique…”

Petite phrase révélatrice. Elle est venue à l’esprit de Jacques Gripekoven, directeur d’Eyepea, à la suite des visites effectuées chez des sociétés telles Google, Evernote ou Skyriver, opérateur télécom (fixe/WiFi).

“On sent la puissance du modèle américain dans laquelle une petite organisation comme Skyriver (une cinquantaine d’employés actuellement et dont le fondateur et CEO est originaire d’Iran), a la capacité de se développer rapidement, supportée par des investisseurs puissants, des tracasseries administratives bien moindres que les nôtres (permis d’installer des antennes sur les toits…).”

Ce sentiment de différence profonde a été relevé par un autre participant, mais en prenant une autre perspective. Voici ce qu’il en dit (en désirant rester anonyme…): “la mission en général est un forum unique pour échanger idées, concepts, conseils et expériences avec des entrepreneurs belges qui ne sont pas en manque d’idées et de réalisation novatrices. En concept, elles n’ont rien à envier aux entreprises américaines … mais le côté vente et marketing et surtout le goût du risque et d’aller de l’avant fait cruellement défaut.”

A prendre et à laisser

S’il est un point qui fait l’unanimité, c’est la sensation de pénétrer un monde où l’argent n’est pas un problème et où la vision du modèle économique est foncièrement différente.

“Le modèle économique qu’adoptent nombre de sociétés de la Silicon Valley est celui de l’accélération de la croissance”, relève Vinvent Keunen (Manex). Tout est axé sur l’augmentation du chiffre d’affaires. Sans qu’il y ait forcément de bénéfice à la clé. “On dope la croissance en faisant appel à du capital à risques. Ce n’est que plus tard que l’on envisage de réduire la croissance pour viser la rentabilité financière.”

Même constat chez Arnaud Ligot, administrateur de CBlue: “ce qui m’a vraiment marqué, c’est la force financière qu’a la moindre entreprise qui commence. Leur capacité à commencer tout de suite, très grand, au regard de la PME belge.”

Il faut toutefois se méfier de ce qui brille. Le fait est en effet que si les capitaux sont présents en abondance, “il y a beaucoup de déchets dans les projets californiens”, déclare Juan Bossicard de l’ABE.

“La quantité ne présume pas la qualité. L’écrémage vient après, une fois que des millions de dollars ont été versés et consommés. La différence avec l’Europe et ses moyens plus limités, c’est que, chez nous, seuls les bons projets ont des chances de percer. Cela suppose aussi qu’ils sont peut-être plus vite prêts pour la commercialisation [et la rentabilisation].”

Cela l’amène à une autre constatation: s’il est vrai que les Californiens ne semblent pas hésiter longtemps à lancer des start-ups, c’est aussi parce que l’argent est là, “et qu’il n’y a guère de risques pour eux à se lancer puisqu’ils sont sûrs d’être bien payés pendant les premiers mois. Et si cela rate, pas de problème! Le prochain projet attend et trouvera de nouveaux financements. Le concept de lean start-up fonctionne en effet parfaitement dans de telles conditions, avec des fonds que l’on trouve vite et en quantité. Mais la réalité chez nous est toute autre. Il faudrait sans doute relire [et réécrire] les bouquins sous cet éclairage différencié.”

Un petit (ou grand) côté bohème…

Vincent Keunen (Manex, Lampiris) a quant à lui été frappé par la “grande liberté laissée aux employés de Google ou d’Evernote. “La culture d’entreprise, l’ouverture d’esprit y sont surprenantes. Beaucoup de place est laissée à la créativité et à l’autonomie des employés.”

Source: Global Times

Google, “société bohème”, pour reprendre l’expression de Jacques Gripekoven, a par exemple étonné par la profusion de “services” et possibilités: vélos Google à disposition sur le campus, bus aux couleurs de la société pour les déplacements plus longs, terrains de volley, skateboards, caféterias gratuites, bâtiments non alignés, “décoration folle”. Quant à Evernote, elle a érigé l’ensemble de son bâtiment “en grand tableau blanc. Tous les murs intérieurs sont peints avec une peinture spéciale permettant aux employés d’y écrire et d’effacer. Cela permet aux employés de pouvoir échanger rapidement lors d’une rencontre dans un couloir.”

Le style à la fois survolté et décontracté de la Silicon Valley et des start-ups qui y foisonnent a aussi impressionné Stéphane De Biolley. Notamment lors de la visite de Double Robotics: “c’est une start-up vraiment intéressante, typique de ces petites boîtes innovantes californiennes. Avec une poignée de collaborateurs, tous très jeunes, qui se déplacent… en skateboard. Ils font tout eux-mêmes dans leur atelier, construisent leurs systèmes vis par vis. Ils y croient à fond. Au-delà de la technologie, il y a là un travail intense, de longues heures d’assemblage…”

Une Valley à deux vitesses?

Impression de voyage non dénuée d’intérêt. Les visiteurs belges ont aussi relevé un contraste entre les Anciens et les Modernes. “Lorsque l’on se rend chez Google et, dans une mesure similaire mais moindre, chez EverNote et LinkedIn, et ensuite chez HP ou Cisco, on a l’impression de retomber du 21ème siècle au 20ème siècle. Il y a une différence culturelle gigantesque qui est frappante. J’espère que les HP et Cisco sont conscients que les futurs cerveaux seront bien plus attirés par cette nouvelle culture d’entreprise”, déclare par exemple Jacques Gripekoven.