Actuellement, le marché local en matière de manuels numériques est toujours réduit à sa plus simple expression. Le filon des manuels numériques reste largement inexploité chez nous.
“En Belgique, le marché n’a pas atteint la même maturité qu’en France ou au Grand-Duché de Luxembourg”, témoigne Thibault Léonard, fondateur de Primento, start-up namuroise spécialisée dans l’édition numérique. “Au Grand-Duché, on dénombre plus de ventes alors même que le nombre de lycéens y est moins nombreux qu’en partie francophone du pays.”
La collection “Le Petit Littéraire” y a par exemple été recommandée au monde de l’enseignement par les autorités grand-ducales qui en subsidient l’abonnement.
Primento dessert dès lors essentiellement l’international, en matière de manuels numériques (France, Canada, Afrique du nord…). “Le marché belge est quasi inexistant, car trop coûteux pour nous. Il faudrait en effet contacter individuellement chaque école. Nous n’avons pas les ressources commerciales d’un Averbode…”
Ne pas tout miser sur l’école
Il est vrai que la mathématique est implacable: 15 fois moins d’élèves qu’en France. “Pas énorme comme masse critique quand il s’agit de développer des manuels qui coûtent très cher”, souligne Thibault Léonard, fondateur de Primento, start-up namuroise spécialisée dans l’édition numérique.
Michel Roiseux (ADEB): “On en est encore essentiellement au manuel projetable.”
S’y ajoute un manque de moyens.
“En effet, les moyens financiers de nos écoles sont pauvres. Souvent, il est déjà bien difficile d’acheter un manuel papier pour tous les élèves”, souligne Michel Roiseux, directeur d’édition chez Au Gai Savoir et par ailleurs Président de la section scolaire des éditeurs de Belgique (ADEB).
“Cela explique la naissance, en 2006, du décret relatif à l’agrément et à la diffusion de manuels scolaires, de logiciels scolaires et d’autres outils pédagogiques au sein des établissements d’enseignement obligatoire destiné à promouvoir l’utilisation de ces outils pédagogiques. Ce décret devrait être aménagé en 2014 pour proposer aux enseignants des facilités financières à l’achat de matériel numérique.”
Une petite indication: selon la récente étude menée par Ipsos pour le compte de l’ADEB, 19% des quelque 700 personnes interrogées (francophones bruxelloises ou wallonnes) avaient lu/consulté au minimum un manuel scolaire en 2012. Toutefois, seules 4% d’entre elles avaient lu un manuel numérique.
Résultat: “en Belgique, on continue essentiellement à distribuer des manuels français. D’une manière générale, le nombre de manuels numériques “enrichis” demeure très limité. Le manuel numérique en est encore largement au stade de la recherche. On en est encore essentiellement au manuel projetable, c’est-à-dire un support papier qui a simplement été numérisé pour être exploitable sur TBI.” Il s’agirait donc de l’enrichir au moyen de contenus multimédias, vidéos, éléments d’interactivité…
Mais tout cela exige un gros travail d’élaboration et cela coûte cher, relève-t-il (“7 à 8 fois le coût de création d’un manuel traditionnel”). Sans compter que l’un des obstacles majeurs est l’étroitesse du marché. Surtout si on résume le contexte au seul enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Le coût du numérique
Composantes du coût d’un manuel numérique?
Tout dépend du taux d’“enrichissement” du contenu. Entre un simple PDF, quasi copie conforme d’un manuel papier, et un manuel conçu avec une solide dose de multimédia et d’interactivité, il y a une différence énorme. Un certain nombre de paramètres seront néanmoins communs: conversion PDF-format numérique spécifique (les plates-formes des éditeurs seront en effet potentiellement de formats distincts), rétribution supérieure des auteurs (compte tenu de la surcharge de travail qu’impose la création d’un manuel numérique), coût de développement de l’interface, droits de réutilisation de contenus multimédias existants, coûts de suivi technique (si l’éditeur inclut un service de helpdesk pour les écoles et enseignants)…
Ce qui fait dire à Thibault Léonard qu’il faudra en passer par de la transposition de ressources françaises, en y intégrant les nécessaires adaptations aux conventions pédagogiques locales.
Michel Charlier, responsable de l’édition de manuels papier et numériques pour l’enseignement secondaire chez Averbode, parle lui aussi d’exiguïté qu’il faudra combattre en élargissant la perspective: “Le lien avec les référentiels et les programmes scolaires est capital. Sans cela, pas d’achat ni d’utilisation en classe. Le marché est donc très local pour la plupart des outils, mais certains d’entre eux peuvent cependant trouver un public plus large (Flandre, pays et régions francophones), du moins lorsque leurs contenus sont également utilisables ‘hors école’.”
Et d’ajouter: “le marché est potentiellement important en secondaire mais le bât blesse à la fois dans la formation des enseignants et dans les moyens financiers mis à disposition. Il y a actuellement un “frémissement” dans l’enseignement secondaire dans l’équipement en tableaux blancs interactifs et/ou en tablettes (essentiellement dans le cadre du projet “Ecole numérique”) mais cela reste marginal. Sans compter que l’achat de matériel n’implique pas nécessairement une utilisation massive dans les écoles. A côté de cela, les universités et hautes écoles sont beaucoup plus avancées dans la réflexion et l’usage des nouvelles technologies.”
Entre demande et opportunité, l’éditeur De Boeck ne donne pas de réponse plus tranchée: “Il est encore très difficile d’avoir une très bonne vision du marché local francophone à l’heure actuelle”, indique Olivier Ruol, responsable Innovation chez De Boeck Education. “La situation numérique est encore pauvre en Belgique francophone. Les écoles sont encore très peu équipées, que ce soit au niveau des connexions Internet ou en termes d’équipement proprement dit. Beaucoup de questions sont encore sans réponse pour les directeurs d’école, comme par exemple celles concernant l’utilisation du Wi-Fi au sein de l’école. Certaines ont déjà pris le train en marche, en témoignent les nombreux dossiers reçus lors des appels à candidature du projet Ecole numérique. Ces écoles sont maintenant en demande de contenus numériques, que ce soit pour leurs tableaux blancs interactifs ou l’acquisition de tablettes mobiles.”
Freins et obstacles
Taille du marché, moyens financiers en carence, sous-équipement des écoles, coûts de développement, ce ne sont pas les obstacles et freins qui manquent pour expliquer la prudence des éditeurs.
Michel Roiseux en passe quelques-uns en revue. “Des manuels enrichis? Les éditeurs français en proposent déjà sur le territoire belge, comme c’est le cas avec les versions papier.
Les obstacles technologiques? Non, car de nombreuses sociétés françaises et québécoises proposent leurs services pour la réalisation de manuels numériques.
Le juridique? Un peu car de nombreux organismes planchent là-dessus pour le moment au niveau de l’Europe mais rien de concret car difficulté de se mettre d’accord.”
Thibault Léonard (Primento): “Le plus gros obstacle est lié à la tradition. L’habitude du manuel papier créer une importante inertie.”
Michel Charlier (Averbode) estime pour sa part que “le principal frein vient sans doute des enseignants eux-mêmes, qui forment une des catégories professionnelles les moins enclines au changement. Difficile souvent de modifier les pratiques et les habitudes…”
Au rayon obstacles et freins, Thibault Léonard (Primento) cite, pour sa part, à la fois les moyens financiers des écoles, la faible vitesse de développement du marché, les connaissances des enseignants, le nécessaire pré-équipement des écoles et les embûches pédagogiques. “Il ne faut pas perdre de vue que le but est de former la prochaine génération. Le numérique doit dès lors apporter une plus-value, réduire le taux d’échec. Des études réalisées au Royaume-Uni ont démontré que les résultats atteints dans les écoles équipées étaient sensiblement meilleurs. Pour plusieurs raisons: attention renforcée des élèves, effet de la nouveauté… même si la qualité de l’enseignant n’est pas toujours au rendez-vous.”
Quid de pénuries du côté création (nous aborderons aussi ce point dans l’article consacré aux rôles des divers acteurs)?
“Le manque d’auteurs? Je n’y crois pas”, déclare Michel Roiseux, “car, pour eux, le travail reste le même sauf qu’ils vont devoir produire beaucoup plus en termes d’exercices complémentaires, de recherches de médias…”. Ce n’est pas tout-à-fait l’avis d’Olivier Ruol de De Boeck: “les vrais auteurs numériques sont encore rares. Je parle de ceux qui ont une excellente culture numérique et pour qui travailler un manuscrit avec des feuilles de style est habituel.”
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