Edition scolaire numérique: par où commencer?

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Par · 28/06/2013

La réflexion est en cours, chez tous les éditeurs, pour déterminer quelles matières, quelles collections justifient d’être numérisées, et sous quelle forme (basique ou enrichie), à destination de quels publics. Une comparaison des stratégies s’avère actuellement un exercice vain tant les positions restent floues et prudentes.

Voici toutefois quelques petites indications, données par nos différents interlocuteurs.

Aux yeux de Léonard Daniëls, responsable Projets numériques pour les Editions Plantyn, les manuels numériques offrent des perspectives pour tous les niveaux d’enseignement “hormis le maternel”.

“Chez Plantyn, la décision a été prise, voici 3 ans, de numériser toutes les principales collections destinées au secondaire: biologie, chimie, français (collection Point Virgule), géographie, mathématique, physique, néerlandais, étude du milieu.”

Mais entre décision et déploiement, il y aura un certain écart. Le marché de l’enseignement secondaire est jugé “mûr” mais l’éditeur n’évoluera que progressivement, en commençant par des manuels pour les cours de français et de néerlandais (selon les communautés linguistiques auxquelles il s’adresse).

De même, si toutes les nouvelles collections seront déclinées dans les deux modes, les collections les plus anciennes ne verront jamais naître de version numérique.

Dernière nouveauté: un début de collection numérique pour les maths (Delta) et “bientôt” une nouvelle collection Langues modernes (néerlandais), géo (Horizon) pour la 4ème année de secondaire, et étude du milieu pour la 2ème année.

Pour ce qui est de l’enseignement fondamental, “nous avons l’impression qu’il n’est pas encore prêt”, déclare Léonard Daniëls. La première matière numérisée sera le néerlandais.

La volonté est aussi d’enrichir le manuel pour ne pas se contenter des versions PDF “copies conformes” du papier. Mais on parle plutôt ici d’insertion de contenus enrichis par l’utilisateur plutôt que de production de contenus enrichis lors de la production. “Chaque utilisateur doit avoir la possibilité de le personnaliser, en y ajoutant des activités, des vidéo YouTube, des exercices. En maths, de l’animation permet d’illustrer des concepts abstraits. Un professeur pourra donc adjoindre une animation [puisée ailleurs].” Par exemple, comme la démo en avait été faite en début d’année par Plantyn dans une école de Morlanwelz, une vidéo puisée sur YouTube, au départ du manuel numérique, qui explique les origines de l’algèbre… L’enrichissement du manuel passe ici par l’insertion d’un lien interactif.

Les convoyeurs attendent

Les signaux ne sont pas plus au vert du côté de Michel Roiseux: “pour Gai Savoir, c’est très simple: outre le fait de numériser un fichier papier existant ou de proposer des corrigés sur CD, il n’y a pas de projet spécifique en vue. Nous sommes prêts  à nous lancer si le marché s’ouvrait mais ce n’est pas demain la veille! Dans tous les cas, priorité est donnée à l’enseignement secondaire et universitaire.”

A priori, Michel Charlier (Averbode) privilégierait, comme premières collections numérisées, “les matières scientifiques (maths et sciences dans le secondaire) et les langues. Mais un éditeur peut également faire le choix de mettre en avant l’une ou l’autre collection-phare, qui est déjà (très) bien implantée dans le milieu scolaire.

Olivier Ruol (De Boeck): “Nous, école, élèves, professeurs et éditeurs, n’en sommes qu’à l’aube numérique et ce n’est qu’ensemble que nous pouvons collaborer.”

Chaque éditeur a lancé des versions numériques d’une partie de ses livres et manuels. Il s’agissait au début de versions homothétiques, non enrichies. La numérisation et le développement des outils a continué chez chacun, à des degrés divers, pour arriver à des outils numériques enrichis et enrichissables par l’enseignant. Dans cette direction, Averbode sortira, au printemps prochain, une version numérique fortement enrichie de notre ‘best-seller’, Construire l’Histoire. D’ici quelques semaines, nous jouerons sur l’interactivité via les sites de Gr@ag gedaan Plus 5e et Accent op ta@lent 3e, deux méthodes de néerlandais. Dans le cadre du projet “Ecole numérique”, nous avons développé du contenu d’exercisation sur une plate-forme Internet et une application pour tablettes sur base d’un numéro de la revue Tremplin. Enfin, un livre totalement numérique (sans version papier donc) sortira d’ici quelques semaines dans le domaine du français langue étrangère de scolarisation.”

De Boeck aussi progresse quelque peu sur l’échelle des valeurs ajoutées: “Cela fait un an que nous avons proposé nos i-boards, versions projetables de nos manuels que le professeur pouvait enrichir lui-même”, rappelle Olivier Ruol.

“Dès le mois de septembre, nous proposerons aux professeurs et aux élèves les manuels numériques, toujours basés sur la mise en page des ouvrages papiers, mais enrichies par nos soins. Du pain béni pour les professeurs qui attendaient un outil digne du TBI. Pour les élèves, une version tablette sera disponible. Nous allons également commercialiser une application de maths pour le 1er degré destiné aux tablettes mobiles. Près de 10.000 exercices corrigés pour s’entraîner et réussir son année. Tout cela dans le but de continuer à fournir aux élèves et aux professeurs du contenu de qualité, adapté à l’ère numérique. La réflexion du véritable manuel numérique, au format ePub3, est bien évidemment au cœur de notre travail. Nous, école, élèves, professeurs et éditeurs, n’en sommes qu’à l’aube numérique et ce n’est qu’ensemble que nous pouvons collaborer.”

Question d’opportunité(s)

Sciences et maths sont aussi identifiées comme têtes de pont chez De Boeck, pour une raison d’opportunité… professorale. “Les informations que l’on entend des les salles des professeurs sont toujours les mêmes: ce sont les professeurs de maths et de sciences qui accaparent le plus les tableaux blancs interactifs”, explique Olivier Ruol. “Même si les autres disciplines ne sont pas en reste, il y a une culture du numérique plus ancrée chez ces professeurs que chez les autres. Cependant, nous venons d’éditer deux atlas numériques, l’un d’histoire et l’autre de géographie, interactifs, qui prennent tout leur sens sur TBI. Chacun y trouvera donc son compte, même si certains ont une attente plus poussée que les autres.”

Primento, pour sa part, s’est jusqu’ici concentré sur des thèmes tels que la littérature (LePetitLittéraire.fr) (1) ou la philosophie (LePetitPhilosophe). Il s’agit là d’un choix volontaire d’une start-up qui a besoin de se différencier et de trouver une “niche” par laquelle pénétrer le marché. “Les thèmes choisis sont peu abordés par les autres éditeurs, notamment en raison du degré élevé d’autonomie [de choix] qu’ont les professeurs dans ces matières. Notre approche est dès lors de viser des contenus répondant à des besoins ponctuels.”

Les collections marchent bien en France, ainsi, de manière plus modérée, dans d’autres pays francophones (Canada, Afrique du Nord) mais rencontrent encore un “no pasarán” en Belgique. La collection LePetitLittéraire s’est vue rembarrée à deux reprises (sans guère d’explication) et la collection philosophie attend qu’une évolution se dessine dans le scénario pédagogique local où la philo est encore intégrée, au secondaire, dans les cours de morale ou d’histoire…

Quid d’autres matières? Primento ne compte par exemple pas se lancer dans la production de manuels numériques de mathématiques. “Le risque est trop important pour une start-up. Il faut en effet concevoir des logiciels plus intelligents, aptes à s’adapter aux erreurs de l’élève. Ce sont de beaux développements mais très coûteux.

(1) La collection LePetitLittéraire.fr est destinée à l’enseignement secondaire et est “alimentée” par quelque 115 professionnels de la littérature. La collection comporte actuellement 544 analyses d’oeuvres littéraires (fiches de lectures), 492 résumés, 86 questionnaires, et 77 commentaires. Auteurs les plus consultés: Molière, Fred Vargas, Victor Hugo, Albert Camus et Honoré de Balzac.