Depuis 2010, des travaux de recherche se penchent sur la possibilité d’optimiser l’empreinte énergétique (réduction des coûts opérationnels et de la facture énergétique) du transport ferroviaire en agissant sur les comportements de conduite et la modulation de mobilité des convois.
Baptisée GreenRail, la recherche s’est en fait articulée en deux projets successifs financés par la Wallonie dans le cadre de son Pôle de compétitivité Logistique. Elle met à contribution un ensemble d’acteurs locaux, tant industriels qu’académiques: Alstom, UMons, Multitel… Voir notre encadré pour plus de détails sur le rôle de chacun.
Des arguments financiers tangibles
L’espoir des projets GreenRail est de réduire la consommation de l’ordre de 10 à 15%.
En 2006, selon des chiffres de la SNCB, près de 70% des coûts énergétiques totaux (soit 134 millions d’euros) étaient dus à la traction électrique. Pour cette partie (traction du matériel ferroviaire), la consommation annuelle sur le réseau ferroviaire belge est aujourd’hui d’environ 4 GWh (trafic passager et fret). Selon les simulations effectuées à l’issue du projet GreenRail I, le gain potentiel estimé serait supérieur à 5 millions d’euros par an. Un chiffre qui concorde assez bien avec une évaluation faite par Infrabel, selon lequel une réduction de 7% pourrait représenter une économie de 7 millions d’euros par an et épargner quelque 16 kilo-tonnes de CO2 à la planète.
Au-delà de l’objectif global de réduction de la consommation électrique, l’utilité d’un tel projet de recherche s’inscrit dans la perspective de la libéralisation du rail. Pour l’instant, les compteurs d’énergie ne font pas encore partie de l’arsenal du matériel ferroviaire. Il est donc impossible de mesurer effectivement la consommation de chaque convoi. Infrabel paie dès lors la facture énergétique globale et refacture chaque opérateur sur une base forfaitaire estimée. La pression se fait toutefois sentir du côté de l’Union européenne pour refacturer l’énergie consommée en fonction des consommations réelles.
Dès lors, les différents opérateurs auront intérêt à optimiser le profil énergétique de chaque convoi empruntant les diverses infrastructures nationales.
Et, pour ce faire, ils doivent disposer d’un outil pouvant objectiver la consommation réelle de chaque convoi. En ce compris, en fonction de ses spécificités: puissance de la locomotive, type de transport (passagers, fret), longueur du convoi, type de train (banlieue, TGV…), etc.
Outils d’analyse et algorithmes seront notamment importants pour gérer au mieux le “comportement de conduite” de trains d’un genre nouveau tels que ceux qui desserviront le futur RER. “Le contexte se rapproche de l’urbain”, explique Michel Rousseau, directeur R&D de la division Transports d’Alstom, société qui coordonne le projet GreenRail. “Les trains sont plus courts mais les arrêts plus fréquents. Ils se prêtent donc tout spécialement à des principes d’éco-conduite et de dynamisation de la fluidité du trafic.”
GreenRail I
Le premier projet (GreenRail I) s’est déroulé sur deux ans (2010-2012) et tendait à explorer la problématique de l’“éco-conduite” ferroviaire afin de jeter les bases d’une gestion temps réel de la consommation énergétique du système ferroviaire. Compte tenu des horaires théoriques, de la géolocalisation des convois et de critères plus spécifiques et variables (tels que la charge du convoi), l’objectif était de recalculer en temps réel la vitesse de chaque train. “L’être humain qu’est le conducteur n’a pas nécessairement les bons réflexes ou n’est pas en mesure de prendre les bonnes décisions”, explique Michel Rousseau.
L’objectif de GreenRail I était donc double: développement d’algorithmes d’optimisation de conduite et création d’un simulateur qui permette de documenter et d’optimiser la conduite, “donnant au conducteur des indications sur le moment le plus opportun pour freiner ou augmenter la vitesse”.
Ce faisant, il devient possible d’éviter les grosses consommations d’énergie induites par le redémarrage d’un train qui a dû s’arrêter à un feu. En effet, moduler la vitesse en amont et permettre au train de garder sa mobilité sur base de la vitesse acquise, sans freinages et relances intermittentes, contribue à diminuer la consommation.
Les algorithmes mis au point pourront être intégrés dans les systèmes existants ou futurs, en ce compris donc l’ERTMS qui permettra aux conducteurs de recevoir en temps réel des consignes de conduite incluant un volet “optimisation énergétique”.
Premiers résultats
Le projet GreenRail I n’a pas pu tester les résultats des développements en situation réelle, notamment pour cause de retard dans le déploiement des compteurs d’énergie à bord des trains.
Il a donc fallu recourir à de la simulation pour valider les développements. Notamment ceux des algorithmes d’optimisation de conduite.
L’exercice de simulation s’est appuyé sur ces algorithmes et sur des données réelles du réseau. Pour la circonstance, c’est la ligne Ostende-Eupen qui a servi de tronçon-témoin. Les données (horaires, échantillonnage de trains, relevé des profils de vitesse) ont été extrapolées à l’ensemble du réseau. “On en a déduit deux enseignements majeurs. Compte tenu de ces données réelles, on a pu vérifier que des gains sensibles sont possibles par rapport à un scénario où le conducteur respecte les consignes rigides actuelles. Un gain d’énergie correspondant au pourcentage espéré, en moyenne 10%, est bel et bien possible. Qui plus est, on constate un gain potentiel en ponctualité. L’aide au conducteur lui permet en effet d’avoir une meilleurs vision sur sa ligne, sur son parcours, lorsqu’il opère dans des conditions dégradées.”
Des tests grandeur nature devraient intervenir en 2015 sur des trains mis à disposition par Infrabel, en coopération avec des opérateurs empruntant le réseau belge.
GreenRail II
Le projet GreenRail II, initié en 2012, vise à intégrer dans l’équation non plus les seuls horaires théoriques mais les conditions réelles de trafic. L’optimisation de la conduite se fera ainsi en fonction des temps de passage concrets des convois en différents points du réseau.
“Un train qui respecterait son horaire et qui, par manque de visibilité sur la situation, continuerait à vitesse normale risque d’être bloqué à un feu rouge un peu plus loin pour cause de congestion provoquée par un autre train connaissant un problème ou des conditions météorologiques dégradées quelques kilomètres plus loin”, explique Michel Rousseau.
“Le but est d’anticiper grâce à un équipement embarqué qui tient compte du trafic réel et recalcule en permanence le meilleur comportement de conduite. Par exemple, en préconisant une réduction de vitesse de telle sorte à pouvoir arriver au niveau du prochain feu lorsqu’il s’est remis au vert et éviter ainsi les arrêts intempestifs. Les arrêts et redémarrages sont en effet les plus gros points de consommation, surtout pour du fret.”
L’objectif du projet GreenRail II est donc de mettre en oeuvre un système de contrôle de vitesse intelligent “pouvant opérer en lieu et place du conducteur et prendre en main la traction.”
Pôle d’expertise
Pourquoi la Wallonie a-t-elle décidé d’investir dans un tel projet de recherche?
Il y avait là, aux yeux des initiateurs du projet, une opportunité à saisir pour développer une expertise, au sein du Pôle de compétitivité Logistique. Une expertise porteuse d’avenir au vu de l’impulsion que donne l’Union européenne en matière d’optimisation énergétique et de déploiement du système ERTMS/ETCS (European Rail Traffic Management System/ETCS (European Train Control System).
L’opportunité se justifiait par ailleurs du fait que “les autres projets existants, notamment le projet Rail Energy (FP6), n’incluent pas la dimension du développement d’algorithmes.”
Les résultats de ces deux projets GreenRail wallons ne sont, bien entendu, qu’un maillon de la vaste chaîne qui doit encore se mettre en oeuvre. L’un des obstacles à résoudre sera celui de l’interopérabilité entre les équipements au sol et les équipements embarqués, “de telle sorte que tout type de train puisse opérer, en éco-conduite, sur n’importe quel réseau.” Cet aspect d’interopérabilité ne fait pas partie du périmètre du projet GreenRail mais fait par contre l’objet d’autres travaux (européens) de normalisation, auxquels Alstom, notamment, est partie prenante.
Consortium local
Le projet GreenRail repose sur les travaux de plusieurs partenaires locaux, à savoir: Alstom (Charleroi), le centre de compétences montois Multitel, l’UMons et les FUCAM, Logiplus et Infrabel. Une autre société, Decizium, spécialisée dans l’optimisation et l’aide à la décision, était partie prenante au projet mais a entre-temps fait faillite et ne sera pas remplacée pour les besoins de GreenRail II, l’UMons (dont Decizium était une émanation) reprenant ses tâches à son compte.
Rôle et compétences des différents partenaires:
– Alstom: coordinateur du projet
– Infrabel: définition des besoins, apport d’expertise métier, réalisation d’un projet-pilote
– Logiplus: société de Charleroi spécialisée dans les dispositifs ferroviaires, tels qu’afficheurs, IHM (interfaces homme-machine) embarquées, solutions d’intégration ferroviaire embarquées, compteurs
– DeciZium: optimisation et outils d’aide à la décision
– UMons (département MathRO, FPMs, Pôle TI): ce département a été sélectionné pour ses compétences en optimisation. Son rôle a consisté à développer les algorithmes d’optimisation (de type heuristique ou méta-heuristique, par exemple) les mieux adaptés au problème posé.
– FUCAM: apport de connaissances du secteur ferroviaire, étude d’impact, application d’optimisation centrée sur l’énergie
– Multitel: collecte et centralisation des données, compétences ERTMS (certification), développement et optimisation, validation des résultats de tests, mise en oeuvre d’un simulateur de trafic pour tester et valider la communication et la configuration de plusieurs équipements bords avec l’infrastructure sol (RBC-Radio Block Center, Interlocking, …), afin d’améliorer la régulation des lignes (configuration automatique des lignes).
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