L’année dernière, la Direction de la Planification de la Mobilité (SPW) a publié un cahier de charges portant sur des propositions de solutions pour l’“implémentation d’un système de covoiturage dynamique en Wallonie.” Par “covoiturage dynamique”, il faut entendre un “service en temps réel qui permet de rendre le covoiturage pratiquement instantané, facile, peu planifié et sans beaucoup de contraintes.” Dixit le texte du cahier de charges.
Autre exigence: “le covoiturage dynamique doit pouvoir s’intégrer dans une offre de service plus vaste, prenant en compte l’ensemble des modes de transport disponibles pour guider l’utilisateur de son point d’origine à sa destination.”
Le projet devrait voir le jour cette année.
Guère de candidats
Les propositions devaient être rentrées pour ce 25 février 2013. Elles ne se sont pas bousculées au portillon, “sans doute en raison des contraintes importantes définies dans le cahier des charges”, estime Xavier Georges, chargé du dossier auprès du Cabinet du Ministre Philippe Henry. L’opérateur devait en effet être en mesure de proposer une solution de covoiturage multi-scénario (pour tous publics), basée sur une plate-forme compatible Internet (fixe et mobile), avec possibilité d’étendre la gestion au multi-modal (intégration avec d’autres moyens de transport), de proposer une solution de call-center (pour l’assistance) et être à même de déployer la solution “très rapidement” sur l’ensemble du territoire. Histoire de ne pas arriver trop tard par rapport à d’autres initiatives potentielles (commerciales), peut-être moins complètes mais qui auraient “capté” une part du marché.
La start-up belge Djengo avait un temps imaginé remettre un dossier (en collaboration avec IBM) mais a finalement renoncé. Pour les raisons que nous invoquons dans l’article que nous consacrons à sa solution.
Finalement, une seule proposition a rempli toutes les conditions posées. L’attribution ne suscitera donc pas de gros débat. Actuellement en examen auprès de l’Inspection des Finances, le dossier devrait officiellement être adoubé et livrer à brève échéance les noms des fournisseurs (trois acteurs qui ont constitué un consortium franco-belge, pour la circonstance).
Pourquoi le secteur public prend-il la main?
A l’heure où fleurissent de-ci de-là des initiatives privées (en ce compris locales) en matière de solutions informatiques de covoiturage, basées sur Internet et/ou sur les équipements mobiles, une question se pose: pourquoi le gouvernement wallon a-t-il jugé bon de lancer un tel appel d’offres et de prendre l’initiative? Avec l’investissement financier que cela suppose (à savoir: un million d’euros, sur 3 ans, pour le développement et le déploiement de la plate-forme et l’hébergement de la solution)?
Plusieurs arguments sont avancés: la volonté de “donner un coup de pouce à ce concept”; celle de proposer une solution la plus universelle possible (scénarios de covoiturage, zones couvertes, multi-modalité); la perspective d’une garantie de neutralité sur l’exploitation qui serait faite des données; et l’espoir de rendre la solution la plus abordable possible. Et aussi la volonté d’éviter un scénario qui verrait, à plus ou moins long terme, un acteur (privé) hyper-dominant imposer sa loi parce qu’il serait devenu incontournable et omnipotent.
La Région veut donc se donner la possibilité de jouer, sinon les opérateurs, du moins les influenceurs dans l’offre d’une solution globale, multi-cibles, de covoiturage.
Si la Région ne sera pas propriétaire des développements, elle compte par contre avoir la maîtrise de la base de données et influencer la tarification.
Pour que le principe du covoiturage attire un maximum de participants, “il faudrait idéalement se rapprocher le plus possible de la gratuité. Outre le fait que les covoiturés doivent rétribuer le covoitureur, il faut ajouter à ce coût celui du tarif imposé par l’opérateur. Ce sur-coût doit être le plus réduit possible. Sinon les gens, après un temps, une fois qu’ils se seront trouvés des covoitureurs, s’arrangeront entre eux, sans passer par un intermédiaire. Quitte à ne pas bénéficier de services supplémentaires mais qu’ils devraient payer au prix fort. Pour que le covoiturage séduise et convainque, il faut une valeur ajoutée certaine à prix minimal. Par exemple la génération automatique de rapports pour les déclarations fiscales, le calcul et la compensation automatique des défraiements, la recherche automatique d’alternatives en cas de désistement d’un covoituré…”
Xavier Georges (Cabinet Henry): “Pour que le covoiturage séduise et convainque, il faut une valeur ajoutée certaine à prix minimal.”
Question tarification, la Région veut au moins avoir un droit de regard. “L’opérateur proposera des idées mais c’est nous qui déciderons en finale”. Reste à voir si l’opérateur choisi (l’actuel ou son éventuel successeur) se pliera aisément à cette idée de faible coût alors qu’il aura évidemment des impératifs économiques et concurrentiels. A cet égard, rien n’a été prédéterminé dans le cahier de charges. Les parties concernées doivent encore en discuter et se mettre d’accord sur les scénarios.
Covoiturage “universel”
L’une des contraintes définies dans le cahier des charges portait sur le public visé par la solution de covoiturage. Toutes les formes et modalités de covoiturage doivent être possibles. C’est-à-dire à la fois pour des trajets habituels, relativement balisés, du genre domicile-travail, et pour des besoins moins réguliers, plus aléatoires ou intermittents: déplacements de type domicile-loisirs, domicile-école, selon des trajets ne suivant pas les grands axes de “transhumance” quotidienne, sur l’ensemble du territoire de la région…
Autre contrainte: la multi-modalité. Même s’il ne s’agit pas là d’un potentiel prioritaire (il était rangé dans la catégorie Options), le fait de pouvoir intégrer, à terme, la solution et la plate-forme de covoiturage dynamique aux autres moyens de transport figure bel et bien dans le scénario.
Même si le projet vise tout scénario de covoiturage, la cible “la plus naturelle, immédiate” est bel et bien celle des navetteurs domicile-travail, indique Xavier Georges. “Ce sont en effet les trajets les plus longs, fixes par nature, polarisés vers les centres-ville. Ceux aussi qui correspondent à la plus forte congestion des routes et qui présentent le plus faible taux de remplissage des véhicules.”
Cible immédiate: les navetteurs domicile-travail, pour cause de trajets longs, polarisés vers les centres-ville, sources de la plus forte congestion des routes pour un faible taux de remplissage des véhicules.
Optimiser les déplacements, à ce niveau, aurait donc le plus gros impact. “Le système est toutefois potentiellement ouvert à tout type de trajet. Même si dans les autres scénarios, le gros obstacle est celui de la masse critique”, convient Xavier Georges. “Pour qu’un scénario de covoiturage soit pertinent et efficace pour des trajets à profil plus dilué, il faudra qu’un grand nombre de personnes proposent des places de voiture. Mais ce serait déjà utile qu’une personne sur 10 puisse par exemple proposer deux ou trois places. En exploitant ces offres, les heures, lieux et trajets proposés, il sera certainement possible à quiconque de trouver quelqu’un qui puisse le prendre en charge…” Sans oublier, ajoute-t-il, qu’à terme, la mise en rapport covoiturage/taxis/transports en commun, devrait permettre de satisfaire nombre de demandes.
Par contre, impossible de prévoir le temps de montée en puissance qui sera nécessaire pour que l’idée et les principes du covoiturage entrent dans les habitudes et fassent un succès (économique) de ce concept. 5 ans? 10 ans?
L’agenda
L’officialisation de l’attribution du marché est sans doute une question de semaines. Dans les 6 mois qui suivront l’atrribution, le partenaire sélectionné devra assurer la mise en production de la solution. Reste à déterminer si le déploiement se fera en phases successives, par exemple par zones géographiques. La décision devra être prise- rapidement- avec l’opérateur choisi.
Pour accélérer le déploiement de la solution, la Région a choisi de ne pas imposer une fonctionnalité exhaustive dès le départ. Certains potentiels sont donc considérés comme “optionnels” dans un premier temps et viendront s’ajouter par la suite. Parmi eux, la dimension multi-modale. “Nous avons considéré comme optionnelles des fonctions qui n’étaient pas offertes ou prévues sur la plupart des systèmes commerciaux existants.” Pas de crainte donc de comparaison jouant en défaveur de la solution publique.
Dès le départ, la solution proposera un certain nombre de fonctions: inscription et réservation via Internet, support des équipements mobiles, sélection automatique des covoitureurs et covoiturés par la plate-forme, vérification d’identité, paiement automatique, système de surveillance “devant détecter les abus”, tels que des taxis qui s’inscriraient dans l’espoir de trouver des clients…
Côté un rien plus technique, le cahier des charges imposait de supporter 3 systèmes d’exploitation mobiles, dont les deux plus importants (à savoir iOS et Android), le troisième étant laissé à l’appréciation de l’opérateur.
La solution de vérification d’identité n’a pas encore été déterminée. “Il faudra trouver un compromis entre la sécurité et l’accessibilité du système.” L’utilisation de la carte d’identité électronique (eID) serait exclue, en principe, “parce que trop contraignante et pas à la portée de tout citoyen puisque tout le monde ne possède pas de lecteur d’eID.”
A quand l’ajout de la dimension multi-modale? “Dès que possible”. Un peu vague mais impossible de faire plus précis. Certains contacts ont certes déjà été engagés, par exemple avec la SNCB et les TEC. “Certaines données- les horaires, notamment- sont déjà disponibles du côté de la SNCB. Du côté des TEC, le problème vient du fait que l’on ne dispose encore que de données statiques (lignes, horaires). Dès que des données dynamiques (retards, incidents, fréquentation…) seront disponibles, il sera possible d’évoluer vers ce scénario multi-modal.” Mais ce ne sera possible, au plus tôt, qu’en 2014, lorsque les TEC auront concrétisé leurs propres projets de billetique et gestion de mobilité (notamment via le support de la carte Mobib).
Potentiellement, la multi-modalité permettra alors de combiner et de rendre compatibles parcours de covoiturage et transports via taxis, services PMR, transports en commun…
Mes données sont tes données. Quoique…
Du côté de la base de données à constituer, la Région sera, comme on l’a vu, propriétaire des données collectées pour organiser le covoiturage des personnes qui s’inscriront sur la plate-forme. Avec la garantie “que leurs données ne sertont utilisées, exclusivement, qu’à ces fins de covoiturage. Cette garantie publique est importante dans la perspective du respect de la vie privée”, indique Xavier Georges. Avec, comme sous-entendu, que cette garantie ne sera potentiellement pas effective chez certains opérateurs privés. Que les acteurs locaux, déjà présents, sur ce terrain, ne se sentent pas pour autant visés. Dans l’esprit des responsables publics, ce risque potentiel d’utilisation “détournée” des données serait plutôt imputé à un gros acteur potentiel (du genre Google) ou à un futur éventuel acteur monopolistique (dans la perspective d’une consolidation extrême du secteur).
La Région espère par ailleurs pouvoir mutualiser des données. Autrement dit, elle envisage de rendre certaines données accessibles et exploitables par des acteurs tiers (privés)- du genre Bip Bip Systems, Djengo ou encore Taxistop (Carpoolplaza)-, à condition toutefois qu’eux-mêmes rendent au moins une partie de leurs données accessibles.
Objectif: rechercher la masse critique. “Ce qui serait aussi dans l’intérêt des autres opérateurs.”
Cela risque de provoquer des débats animés. Les acteurs commerciaux, notamment les start-ups, voient en effet d’un mauvais oeil ce risque de récupération et de phagocytage par les pouvoirs publics. Un échange “musclé”, à ce sujet, a eu lieu lors du Kikk Festival de l’automne dernier. Nous vous le proposons en substance ici. Il préfigure, à n’en pas douter, maints débats qui auront lieu à court ou moyen terme.
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