Master Plan TIC: un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout

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Par · 14/12/2012

Situation paradoxale, quasi sur-réaliste, que le parcours suivi par le projet Master Plan TIC, dévoilé en juin 2011 par le ministre Jean-Claude Marcourt. Ce programme, qui a pour ambition de dessiner une Wallonie “terre numérique” à l’horizon 2020-2025, énumère une série d’objectifs stratégiques à atteindre et d’objectifs opérationnels à concrétiser dans tous les secteurs et aspects de l’économie wallonne: enseignement, infrastructures télécoms, services publics, entreprises, citoyenneté…

Sentait-il déjà à l’époque (été 2011) que la dimension budget allait briser l’élan? Toujours est-il que le ministre n’avait pas chiffré son plan, laissant ce soin à d’autres. Sollicité pour avis, comme il en est de coutume, le CESW (Conseil Economique et Social de Wallonie) renvoyait sa copie avec une annotation qui, d’emblée, soulignait le blocage: “Sans indication sur la grandeur du budget, il nous est difficile de préconiser des priorités.” Voir par ailleurs notre article pour un petit tour d’horizon des commentaires émis par le CESW sur le contenu proprement dit du Plan.


Pour en savoir plus…

Pour vous remettre en mémoire la teneur du Master Plan TIC, nous rappelons les objectifs stratégiques qui avaient été fixés afin de relever les principaux défis, identifiés comme tels, que la Wallonie devrait relever pour devenir une “terre numérique”. Pour en savoir plus…

Les réactions n’ont pas manqué suite à l’annonce, l’année dernière, de ce Master Plan TIC. Nous vous en proposons un petit florilège.

L’avis du CESW (Conseil Economique et Social de Wallonie). Pour en savoir plus…

Les 11 priorités identifiées par Agoria. Pour en savoir plus…

Les remarques de l’UVCW concernant les pouvoirs publics. Pour en savoir plus…


Mesurettes ou arsenal?

Depuis plus d’un an, le dossier hésite entre hibernation prolongée et tentative de médiation.

Le Plan existe. Il est jugé valable, intéressant et nécessaire par nombre de parties concernées- depuis l’Infopole Cluster TIC jusqu’à Agoria en passant par… le gouvernement wallon. Mais comme les ressources budgétaires sont sous pression, le projet patauge. Deux conceptions s’affrontent. D’une part, ceux qui voudraient un déploiement global du Plan. De l’autre, ceux qui préconisent d’avancer dès à présent, quitte à réduire la voilure.

Le Cabinet Marcourt semble privilégier un scénario où un budget suffisant soit débloqué pour lancer le plan dans sa globalité, en lui donnant les moyens d’un impact maximal. Et cela inclut, par exemple, la mise en oeuvre, par définition coûteuse, des infrastructures (fibre optique, haut débit) qui doivent supporter nombre d’axes et projets.

Or, un tel budget, à l’heure actuelle, n’est pas envisageable.

Frédéric Jourdain: “Une de nos inquiétudes vient du fait que l’IT n’apparaît nulle part dans le Plan 2022.”

D’autres militent pour que l’on avance malgré tout, sans (gros) budget. Cela semble par exemple être le point de vue défendu par l’Infopole Cluster TIC et par Agoria.

“Un certain nombre de mesures, reprises dans le Plan, n’ont pas besoin de gros budget”, souligne Frédéric Jourdain, directeur de l’Infopole Cluster TIC. Par exemple, la coordination des équipes qui opèrent pour les différents acteurs appelés à mieux de structurer et à aligner leurs activités et actions. Acteurs tels que les centres de compétences (Technofutur TIC, Technifutur, Technocité, Technobel), le CETIC, les deux pôles (Infopole Cluster TIC et Twist), AWT, MIC…

L’Infopole, l’AWT et le CETIC ont ainsi décidé d’opérer davantage en “coordination étroite” en 2013. Autrement dit: activités, événements et choix de positionnement technologique seront davantage concertés et alignés. Parmi les thèmes technologiques privilégiés: le Web sémantique, l’e-gouvernement, les datacenters… “Sur le fond, des demandes et revendications communes seront exprimées afin de faire avancer les choses”, ajoute Frédéric Jourdain.

C’est, qu’au-delà du sort à réserver au Master Plan TIC, les divers organismes ont besoin que se dessine et se définisse un cadre budgétaire plus clair qui les rassure sur leur avenir. 2012, à cet égard, fut une année difficile pour nombre d’entre eux. Certains ont dû limiter leurs actions, faute de financement suffisant. D’autres ont quelque peu réorienté certains axes d’activités. Il en est même qui craignent pour leur survie à l’horizon 2014.

Le raisonnement est dès lors le suivant: s’il devient difficile de procurer à tous les mêmes moyens budgétaires que par le passé, alors autant chercher à optimiser la distribution des sources de financement, à la rationaliser en répartissant les moyens de manière coordonnée et non plus kaléidoscopique.

Même sans budget

Quelles sont ces initiatives qui pourraient être prises sans qu’il soit besoin de (beaucoup de) budget? Frédéric Jourdain cite en exemple la coordination étroite de différentes structures, la désignation de quelques responsables chargés de coordonner et d’animer ces initiatives, de favoriser les changements de comportements, de mettre en oeuvre des groupes de travail ou assises qui plancheraient sur des sujets concrets tels que les villes intelligentes ou les open data

Même constat et même préconisation du côté d’Agoria. En 2011, la fédération avait listé, avant qu’il ne soit question de restrictions budgétaires, ce qu’elle considérait être les 11 priorités parmi toutes celles énumérées dans le Master Plan TIC. Voir notre article à ce sujet.

Agoria: “Agoria et les entreprises TIC wallonnes ont pleinement conscience de la situation [budgétaire] . Mais elles soulignent qu’un secteur TIC dynamisé profitera à tous les secteurs de l’économie wallonne. Par ailleurs, parmi les mesures du Master Plan, il en existe qui sont peu ou pas budgétivores.”

Aujourd’hui, Agoria ressort 11 mesures “peu ou pas coûteuses” sur lesquelles elle recommande de se concentrer et d’en prévoir la mise en œuvre selon un calendrier à 12 mois”:

  • lancer des Assises de la mise à disposition de données publiques wallonnes pour une utilisation par les entreprises privées
  • déployer un plan général de formation continue TIC pour l’ensemble du corps enseignant
  • profiter de travaux publics pour poser les gaines de futurs réseaux en fibres optiques
  • développer une plate-forme fédératrice pour le développement du secteur TIC
  • lancer un appel à projets dédicacé aux PME TIC à fort potentiel de croissance (sur base d’une cartographie précise du secteur)
  • lancer des appels à projets centrés sur les TIC dans le cadre des pôles de compétitivité du plan Marshall
  • poursuivre la dynamique des partenariats public-privé dans les TIC
  • sensibiliser les jeunes aux TIC
  • amplifier les formations aux TIC dans les centres de compétences
  • centraliser les aides au secteur TIC et en numériser les procédures
  • introduire la facturation électronique dans les pouvoirs publics et numériser les procédures des marchés publics.

Premiers pions

Le fait est que si le Master Plan, dans son ensemble, ne décolle pas, certains chapitres progressent. Souvent parce qu’ils avaient fait l’objet d’initiatives démarrées antérieurement, indépendamment de la définition du cadre global. Deux exemples. Le réseau des smart work centers a vu le jour, avec 8 sites bénéficiant d’un financement sur projet (voir notre article).

Le dossier Ecole numérique poursuit par ailleurs son petit bonhomme de chemin. 28 dossiers rentrés par des écoles ont reçu des financements de la Région. Ils serviront d’expérience grandeur nature de l’utilisation des nouveaux médias et méthodes dans l’enseignement. Dans l’espoir de pouvoir utiliser les meilleures pratiques et recettes au bénéfice de l’ensemble des écoles de la Région et décider d’un plan d’équipement qui fasse suite à CyberClasse. Les projets-pilote seront bouclés et analysés à la fin de l’année académique en cours.

Arrêtons les saupoudrages

Depuis longtemps, le secteur ICT wallon- ou tout au moins certains de ses acteurs- rêvent de le voir se structurer de manière plus cohérente et performante. L’idée d’un regroupement des forces et des structures n’est pas neuve mais achoppe systématiquement sur des réticences, défenses de clochers, voire sur des attitudes qui sont perçues comme étant trop agressives. Le regroupement des acteurs ne doit par exemple pas rimer avec diktat par l’un d’eux.

Régulièrement, la critique du saupoudrage refait surface. Notamment parce que de nouvelles initiatives sont perçues par d’aucuns comme étant de nouveaux exemples de dispersion plutôt que de convergence. Que ne ferait-on pas, raisonnent certains, en gérant de manière plus intégrée les fonds distribués, en quantités variables! Que le destinataire soit l’Infopole, le CETIC, des initiatives telles Nest’Up, ou des appels à projets tels que GreenTIC…

Eternel débat entre la super-structure et la verticalisation des compétences qui, chez nous, a tendance à s’accompagner d’une distribution géographique.

L’idée que défend par exemple Frédéric Jourdain est de voir se constituer un pôle qui financerait l’innovation technologique sans saupoudrage. Un pôle qui “opérerait un peu à la manière d’un pôle de compétitivité, mais qui serait positionné sur l’IT et les contenus numériques.”

Dans ce même état d’esprit, Agoria Wallonie se prononçait récemment en faveur d’une meilleure coordination du financement de la recherche: “[La création de] Waltech doit aller de pair avec la réforme du financement de la recherche en Wallonie. Ce point n’est malheureusement pas abordé [par la décision récente du gouvernement]. Dans un souci de simplification et d’efficacité, Agoria, avec le monde patronal wallon, estime qu’il est nécessaire transférer les différents “guichets” existants (DGO6, DGO4, DGO3, fonds structurels, Welbio et les différents guichets “Innovation” tels que Novalia, prototypage “Creative Wallonia”, et chèques technologiques) vers une agence unique de financement, destinée à la fois aux entreprises et aux centres de recherches

La meilleure orchestration dans la gestion et la répartition des moyens passe nécessairement par l’identification conjointe, coordonnée, des priorités. C’est à cela que doit notamment servir la cartographie des ressources et besoins sur laquelle planchent encore actuellement l’AWT et Agoria. Objectif: identifier des “pépites”, porteuses de perspectives de développement économique (e-santé, formation, e-gouvernement, …), positionnées dans des secteurs et technologies prometteuses et différenciatrices. “Il faut se concentrer sur le soutien de ces entreprises spécifiques afin d’arriver à quelque chose de plus cohérent et de plus efficace”, défend Frédéric Jourdain.