Simon Alexandre (CETIC): améliorer le lien entre acteurs de la recherche et entrepreneurs

Portrait
Par · 06/08/2012

Voici déjà 11 ans que Simon Alexandre travaille au CETIC, dont il a pris les rênes voici 4 ans. C’est dès la fin de ses études et la présentation de sa thèse (sur le thème de la qualité logicielle) qu’il y a fait son entrée. Et onze ans plus tard, il estime toujours- et plus que jamais- qu’il a trouvé exactement ce qu’il cherchait, ce qui correspondait à ses inclinations profondes. De là à dire qu’il y avait “prédestination”, c’est sans doute aller trop loin, trop vite.

Simon Alexandre, en effet, a suivi une formation… d’historien. Par passion. Aujourd’hui encore il s’intéresse à tout ce qui a trait en particulier à la première guerre mondiale et à la violence qu’engendre, suscite ou inspire la guerre en général.

Cette formation de base n’a d’ailleurs pas manqué d’influencer son parcours. Car, au-delà de son deuxième centre d’intérêt majeur qui a toujours été l’informatique, ses études d’historien (aux Facultés de Namur et à l’UCL) lui ont fourni un bagage éclectique, une ouverture d’esprit: “la formation en lettres et histoire est l’une des plus variées qui soit. On touche à la comptabilité, à l’économie, à l’économie politique, à la psychologie puisqu’on doit étudier l’homme dans différentes situations.”

Cette variété, ce pluralisme de perceptions, il le retrouve dans ses fonctions au CETIC: “je dois aussi bien pouvoir me mettre sur le même canal de discours et de compréhension qu’un chercheur, qu’un professeur d’université ou qu’un chef d’entreprise. Ma formation m’a en outre donné cette capacité à prendre plus de recul, à travailler davantage sur les aspects stratégiques, à comprendre les tenants et aboutissants de la technologie, ce à quoi elle peut servir. J’ai acquis cette capacité de synthèse, de mise en perspective et de communication vers le monde extérieur.”

De méandres de l’histoire aux arcanes de l’IT

C’est au moment de choisir le sujet de sa thèse que Simon Alexandre a bifurqué vers l’informatique, estimant qu’elle lui offrirait davantage de perspectives professionnelles.

“Quand je suis entré au CETIC, il venait d’être créé. J’ai été attiré vers lui dans le cadre d’un projet de qualité logicielle mené par le Professeur Naji Habra [FUNDP] portant sur l’adaptation des normes de processus pour les PME. Le CETIC initiait un projet de recherche et de transfert de ces technologies vers les PME. C’est exactement ce qui me convenait: du contenu de R&D et un contact permanent avec les entreprises, un mix entre nouveauté et contact permanent avec les PME, des équipes, des chefs d’entreprise.” C’est là une constante tout au long de son parcours au CETIC et plus encore aujourd’hui qu’il en est le directeur. Son contact direct avec le terrain, avec les besoins et la réalité, est au minimum hebdomadaire. “Pour faire de la recherche appliquée, il est nécessaire et vital d’améliorer le lien entre les acteurs de la recherche, tout spécialement en ICT, avec les entrepreneurs- PME ou grandes entreprises. C’est l’un des grands enjeux, en Wallonie, pour maximiser le ROI de programmes de recherche.”

Une nouvelle vision de la recherche

L’arrivée de Simon Alexandre à la tête du CETIC était potentiellement significative à divers égards. Sa jeunesse, en premier lieu, qui impliquait une vision différente. Son parcours, ensuite, avec l’acquis pédagogique initial et sa progression au sein du Centre. Entré comme chercheur en ingénierie logicielle, il est devenu, deux ans plus tard, chef de projet R&D en qualité logicielle avant de prendre la direction du département de recherche Software & System Engineering. En 2008, lors du départ de Pierre Guisset, il était promu directeur général du Centre.

“Je suis sans doute l’un de ceux qui a l’esprit le plus ouvert en matière de propriété intellectuelle. J’estime en effet que dès l’instant où l’on bénéficie, d’un apport de fonds publics pour de la R&D, il faut diffuser au maximum le savoir-faire. La croissance du CETIC ne doit être, en finale, qu’un moyen de croissance des entreprises.”

Dans ses fonctions actuelles, ce qui l’intéresse le plus est de fournir une aide à l’innovation, de positionner le centre- via la définition de sa stratégie- vers cet objectif premier qu’est l’innovation au sein de l’entreprise. Pour lui, l’un des ressorts majeurs est de faire – d’être – le lien entre “la bonne idée”, les moyens mis à disposition, et la volonté, l’esprit d’entreprendre.

“Tout en demeurant en contact avec les attentes industrielles, comme l’était mon prédécesseur [Pierre Guisset], mon apport le plus important est sans doute d’avoir apporté davantage de pragmatisme dans l’approche pour la rendre plus opérationnelle par rapport aux attentes des entreprises, pour faire coïncider les résultats des travaux et recherches du CETIC avec les besoins exprimés par les entreprises. Mon leitmotiv est de rendre le transfert technologique le plus efficace possible.

Créé, à l’origine, par trois universités [UCL, UMons et Facultés de Namur], le CETIC était trop académique à ses débuts. Il était certes ouvert aux entreprises mais toujours avec des réflexes et processus de chercheurs universitaires.”

Il a donc mis en oeuvre de nouvelles méthodes et moyens. “Nous avons amélioré nos processus (R&D et transferts) afin de mieux travailler avec les entreprises.”

Comme d’encourager les PME à venir travailler en équipe, in situ, au CETIC. Cela permet à leurs collaborateurs d’être en contact direct, quelques semaines durant, avec les chercheurs du CETIC, leurs connaissances et leur réseau, afin de plancher sur un projet d’innovation et l’accélérer. “L’accompagnement”, souligne Simon Alexandre, “commence et finit avec le projet d’innovation. Il se termine lorsque la PME a récolté suffisamment d’informations, lorsque le proof-of-concept est terminé, lorsque les choix technologiques ou d’architecture sont faits, lorsque le développement de produit commence.”

Un principe auquel Simon Alexandre ne veut pas déroger est que l’idée initiale vienne de la PME elle-même. “Avec tout le respect que j’ai pour les chercheurs, il est impératif de travailler en pull davantage qu’en push. L’idée doit déjà avoir été au minimum formalisée, l’analyse de marché effectuée. La PME vient vers nous pour nous soumettre un certain nombre de questions technologiques. Par exemple, en ayant l’intuition que les technologies sémantiques pourraient aider le projet. Nous intervenons donc pour procéder à une structuration plus fine du projet.”

Simon Alexandre: “Il est impératif de travailler en pull davantage qu’en push. L’idée doit déjà avoir été au minimum formalisée. Nous intervenons pour procéder à une structuration plus fine du projet.”

Troisième impulsion nouvelle: un accent mis sur des projets davantage placés sous le sceau de l’applicatif. “J’avais le sentiment que beaucoup évaluateurs de projets, à l’extérieur du CETIC, avaient du mal à appréhender ce que faisait le centre parce que tout était présenté sous l’angle technologique. En renversant l’angle de vue vers l’applicatif, on éclaire une série de technologies-clé dont nous maîtrisons l’expertise. L’e-santé en est l’un des meilleurs exemples. C’est une problématique transversale qui requiert et exploite des compétences en modélisation, en composition de services, en sémantique, en cloud, en électronique… Nous avons donc renversé les approches et cette nouvelle stratégie porte ses fruits.” Elle sera donc poursuivie et étendue. Notamment à l’axe énergie- ICT for green, smart grids

Evangéliser davantage

Ces dernières années, grâce à la mise en oeuvre de ces processus “plus pragmatiques” mais peut-être aussi parce que l’esprit d’innovation, de production de bonnes idées, reprend du poil de la bête au sud du pays, le CETIC a vu davantage de PME se tourner vers lui pour des transferts de technologies et de connaissances. Mais le chemin est encore long pour systématiser davantage ce réflexe: “notre but est que l’ensemble des entreprises nous connaissent et sachent vers qui se tourner en cas de besoin.” Ce travail de notoriété, de communication, d’évangélisation se poursuit. Notamment au travers de relations étroites avec l’Infopole Cluster TIC.

Un message qu’il tient absolument à faire passer aux PME est que le CETIC n’a d’autre ambition que d’aligner la recherche appliquée sur les préoccupations du business. “Nous maîtrisons la technologie et les processus de transfert. Nous sommes à l’écoute des demandes du métier. Nous sommes un allié, un accélérateur, un adjuvant.”

Comme un Meccano…

Depuis son arrivée à la tête du CETIC, Simon Alexandre a également imprimé sa marque- sans pour autant tout bouleverser- sur la composition des équipes. “Le processus de réflexion avait déjà été engagé sous la direction de Pierre Guisset”, précise-t-il. Il a donc pris le relais et amplifié le processus. Et cela passe, notamment, par les profils des collaborateurs et chercheurs et leur organisation en équipes et projets.

“En termes de recrutement, j’ai privilégié un équilibre entre trois composantes. Primo, des profils solides en recherche, des profils de docteurs, afin de garantir la crédibilité du Centre sur la scène européenne. C’est indispensable pour que nous puissions participer à des projets de recherche européens. Nos chercheurs doivent donc avoir la capacité de publier et d’être reconnus par leurs pairs. Deuzio, des profils de jeunes ingénieurs. Tertio, des profils industriels, qui ont un bagage de 10 à 15 ans dans des projets, des développements en entreprise. De ce mix naît un équilibre entre pragmatisme et fraîcheur des idées et de l’innovation. Et la recette fonctionne”, se réjouit-il.

Changer pour se pérenniser

Marier pragmatisme et innovation implique que le chef d’orchestre imprime une sorte de mouvement perpétuel, privilégie les échanges et confrontations d’idées. Ce qui correspond justement à Simon Alexandre qui se décrit lui-même comme un adepte du changement. “J’encourage les espaces de réflexion. Qu’un chercheur passe 10 heures devant son PC n’est tout simplement pas possible dans un centre de recherche.” Les collaborateurs et chercheurs passent donc un maximum de temps sur le terrain, au contact des entreprises, de leurs projets et besoins. Des séminaires de réflexion sont organisés, chaque année, par département, pour évaluer les orientations nouvelles possibles. Les résultats et idées sont ensuite mis en commun. “Je ne mets absolument aucune limite à la force de proposition de chacun. Simplement, un processus de sélection intervient en aval pour éviter qu’on suive 50.000 pistes. Il y a donc filtrage et encadrement par les coordinateurs scientifiques pour identifier les idées les plus pertinentes.”

Simon Alexandre: “Je suis de ces jeunes qui sont motivés par le développement économique de Wallonie, un de ceux qui a la chance d’avoir un poste avec un effet de levier.”

Adepte du changement, Simon Alexandre n’a pas vraiment appliqué ce leitmotiv à son parcours professionnel. Du moins, pas si on l’interprète à l’aulne d’un changement d’employeurs. Il y aurait plutôt de la constante, une ligne tracée sous le signe de la progression.Et Simon Alexandre n’a nullement l’intention de changer de cadre de vie professionnel. “J’adore mes fonctions, malgré les contraintes, mais les avantages l’emportent. Je suis plongé au quotidien dans la nouveauté, dans l’innovation. Je suis en contact permanent avec une équipe jeune, motivée, avec des gens porteurs de projets. Je suis soutenu dans la stratégie que je développe. Je ne saurais trouver mieux ailleurs. Et ma mission est intéressante dans le contexte du développement économique de la Wallonie. Je suis de ces jeunes qui sont motivés par son développement économique, un de ceux qui a la chance d’avoir un poste avec un effet de levier. Un rôle de directeur purement administratif ne m’intéresserait pas. Cette année est d’ailleurs celle d’un important travail pour la définition de la stratégie 2014-2020. Il s’agit de définir un ensemble de projets cohérents, innovants, de trouver un bon équilibre face aux besoins industriels wallons, de convaincre les différents intervenants, d’écouter les défauts des réflexions qui sont émises… Tout cela est très motivant et très gai.”

Ses autres passions

Histoire, informatique, contact constant avec le monde et les besoins concrets des entreprises… Quelles sont les autres passions de Simon Alexandre? Reste-t-il d’ailleurs de la place pour d’autres pôles d’intérêt? La réponse est immédiate. “Du temps, j’en prends. Même si je reste joignable- et mes collaborateurs et contacts le savent- même en vacances. Mais je ne perçois pas cela comme une contrainte.”

Et, oui, il y a d’autres passions. La famille. Avant toute chose. Sa “priorité dans l’échelle des valeurs.” Le sport, ensuite, et plus particulièrement le VTT, par tous les temps, ou le tennis. “C’est important pour tenir nerveusement.”

Et puis, il y a… les roses. Une collection de quelque 60 variétés qu’il agrandit et cultive depuis six ans. “Une vraie détente”. Enfin vient la cuisine, “le moment de détente”, cette respiration qu’il défend comme un véritable pré-carré, et qu’il pratique de manière intensive en vacances. “C’est un véritable plaisir.” Voire même un besoin.