Le projet n’en est encore qu’à une phase très préliminaire de conceptualisation. Les arguments, les grandes lignes du contenu, la finalité recherchée, le modèle de déploiement progressif sont largement esquissés mais il faut encore en passer par la mise en oeuvre. A commencer par le gameplay. Et pour cela, il faudra trouver des partenaires.
De quoi parle-ton? D’un projet de jeu sérieux dédié à l’auto-apprentissage en économie. Dans un premier, à destination des étudiants de l’enseignement obligatoire mais avec comme perspective de toucher d’autres publics, par vagues successives: enseignement supérieur, université, …
L’idée originale vient de l’éditeur Kluwer et a rencontré un cheminement de pensée similaire né dans la tête des gens de Fishing Cactus, société montoise spécialisée dans le gaming (jeux mobiles) et les jeux sérieux. Troisième larron à ce stade-ci: Fun Architects, spécialisée en story telling et gamification. (Veuillez excuser le franglais… Laurent Grumiaux, de Fishing Cactus, ose le terme “ludification” pour “gamification”)
Le raisonnement derrière l’idée? Le fait que l’homme, de tout temps et à tout âge, apprend mieux et plus volontiers si une certaine dose ludique est présente. A cela s’ajoutent d’autres arguments, plus immédiats: d’une part, l’avènement de cette fameuse “génération Y” et de ses modes d’actions, d’interaction, de collaboration; d’autre part, l’évolution de l’enseignement, des méthodes pédagogiques et du rapport de l’apprenant au savoir. Un savoir qu’il veut pouvoir échanger, confronter avec des pairs, partager, puiser librement en toute circonstance, sur la Toile, dans le cloud, sur son G ou iPhone… Pourquoi dès lors ne pas mixer tous ces ingrédients et imaginer un portail de jeux où les élèves pourraient tester tout ce qu’ils apprennent de manière théorique aux cours? Par exemple, s’essayer virtuellement à la gestion d’une entreprise et ne plus être uniquement passifs en suivant un cours d’économie. Kluwer imagine dès lors un jeu simulant une PME virtuelle où les étudiants pourraient venir jouer plusieurs rôles, tester différents métiers, évaluer leur capacité à faire face à divers scénarios et défis.
Nous avons rencontré Kristian Vanderwaeren, directeur commercial et marketing de l’entité Tax & Accounting de Kluwer, et Laurent Grumiaux, directeur commercial et business development de Fishing Cactus.
Quelle est la différence entre “jeu sérieux” et le concept de “gamification”?
Kristian Vanderwaeren: Dans un contexte de “gamification”, le jeu sert de moteur pour mieux apprendre. Il ne sert pas à tester les compétences. Notre but est de permettre d’“apprendre à apprendre”, d’apprendre une compétence, les principes de quelque chose. Il s’agit de rendre ludique du contenu qui, à la base, ne l’est pas.
D’où vous est venue cette idée de jeu sérieux à des fins d’auto-apprentissage?
Kristian Vanderwaeren: De par son positionnement, Kluwer est en contact avec de très nombreuses personnes dans les métiers du chiffre: comptables, fiscalistes, métiers de la finance… Or, nous constatons que de moins en moins de jeunes se destinent à ces professions. Ce qui, au bout du compte, risque de signifier moins de clients pour Kluwer. Nous voulions donc imaginer un teaser pour attirer les jeunes vers ces études.
Une deuxième raison est la crise économique actuelle et la nécessité d’apprendre aux gens la manière de mieux gérer leur argent ou leurs avoirs.
Troisième raison: le monde de l’éducation flamande entame une réforme qui mettra désormais en exergue les axes de compétences plutôt que les connaissances.
Dans le même temps, on constate que le jeu sérieux reçoit un accueil de plus en plus intéressé de la part du marché. IBM, par exemple, l’utilise pour détecter ses “high profiles”. Par ailleurs, nombreuses sont les sociétés qui doivent former leurs cadres aux principes de la finance. Certaines se disent déjà intéressées par le potentiel que représente le jeu à cet égard. Un outil beaucoup plus intéressant et facile quand il s’agit de former 2 ou 3.000 collaborateurs chaque année.
Entre utiliser un jeu pour gérer son argent et développer un jeu pour gérer une société, qui n’est somme toute qu’un mécanisme à produire de l’argent, il n’y avait qu’un pas. Qu’il s’agisse de gérer son propre argent, en tant qu’individu, que PME ou que grande société, ce sont toujours les mêmes principes à la base. Seule la complexité diffère. De là notre idée de partir des principes de base, d’en autoriser l’apprentissage au niveau de l’enseignement secondaire [Ndlr: tranche d’âge: 12-18 ans] et de progresser par degré de complexité croissante, de gravir les échelons – hautes écoles, universités, monde professionnel – en ouvrant le jeu à des concepts et des techniques de plus en plus complexes. Le but est de comprendre les mécanismes.
Dans le schéma de progression que nous imaginons, l’étape suivante sera la diffusion du jeu à l’international, via reproduction des concepts traités, légèrement adaptés aux spécificités locales.
Le “business case” est-il déjà construit?
Kristian Vanderwaeren: Nous voulons démarrer sur une petite échelle, à savoir les écoles secondaires, développer le concept vers d’autres cibles et ensuite, partir à la conquête de l’international. Il est clair qu’un business case et des ressources financières sont et seront nécessaires. Nous sommes en train de chercher à définir ce business case. Sans écarter quiconque: le niveau public fédéral, le monde de l’enseignement, les sociétés privées potentiellement intéressées… Pour le volet financier en tout cas, nous envisageons clairement un partenariat public-privé.
La vision de ce que nous voulons réaliser est bien balisée. Stratégie et contenus sont assez bien définis mais il faut encore en passer par différentes phases d’analyse, notamment avec des psychologues et des gens de métier, des architectes spécialistes de la logique ludique.
Notre but est de finaliser le business plan et d’avoir quelque chose de concret en 2014 [Ndlr: l’année de concrétisation de la réforme de l’enseignement flamand].
Où en êtes-vous dans vos prises de contacts?
Kristian Vanderwaeren: Des contacts ont été pris avec l’enseignement flamand. Il est essentiel que nous ayons leur appui et leur accord, dans un premier temps. Pour l’instant, aucun accord n’a encore été conclu. La réforme à laquelle je faisais allusion a été votée au début de l’année et n’entrera en action qu’après 2014. On ignore encore actuellement dans quelle direction précise on va s’orienter. Quand on pose, toutefois, aux cabinets concernés la question de savoir si le jeu pourrait rentrer dans le cadre de cette réforme, la réponse est clairement positive. Et ce, en raison de la philosophie de compétences sur laquelle se base la réforme.
Et vers le privé?
Kristian Vanderwaeren: Des contacts ont en effet été pris. Après tout, Kluwer compte de nombreux clients du côté des sociétés, des banques, des grands bureaux comptables… Mais il nous faut, dans un premier temps, avoir une vision et un business case clairs, avant de démarrer réellement le démarchage. Et il nous faut l’accord des réseaux d’enseignements. Ensuite, nous nous tournerons vers le privé.
Dans quelle mesure Fishing Cactus et Kluwer se rejoignent-ils dans cette perspective de la “gamification” à des fins d’apprentissage de compétences?
Laurent Grumiaux: Fishing Cactus y avait déjà pensé de son côté. En tant qu’ancien de l’ICHEC, j’avais déjà réfléchi à la possibilité de développer des jeux sérieux éducatifs, des “edugames”. Et comme il vaut toujours mieux commencer par des choses qu’on connaît, dans mon cas les études commerciales et les MBA, j’avais commencé à plancher sur l’idée d’outils d’essais et erreurs. Qui permettent aux élèves de “se planter” ailleurs que dans des programmes Excel ou des KPI, de se faire aider par leurs potes, d’apprendre dans le monde virtuel ce qui les attend réellement demain, dans le monde réel.
L’e-learning et donc les portails proposant des contenus – n’est pas vraiment un succès en Belgique. Pensez-vous qu’un portail d’edugames changerait la donne, aurait plus de chances d’attirer de l’intérêt?
Kristian Vanderwaeren: Si l’e-learning n’est pas un succès en Belgique, c’est parce qu’il n’a rien d’amusant. Même si on utilise un ordinateur pour cela. Les gens sont devant une machine qui n’a rien d’interactif. Le jeu, par contre est ludique et suscite la collaboration, le travail en équipe pour atteindre un but, autorise une émulation entre joueurs… Au-delà de cela, il faut bien entendu réfléchir sérieusement au rôle que joue l’enseignant.
Laurent Grumiaux: Le but n’est pas de se limiter à du seul contenu. Le jeu doit être un support à l’apprentissage. Il doit permettre de tester ses connaissances théoriques. Il doit éviter à l’élève de devoir attendre le choc de la mise au travail, une fois son diplôme en poche, pour s’apercevoir que son acquis ne correspond pas à la réalité.
Kristian Vanderwaeren: Il permettra par exemple de simuler des réunions de conseil d’administration, de tester les conséquences qu’ont telles ou telles décisions sur les résultats de la société. Il permet de rentrer dans le virtuel pour être mieux préparé au monde professionnel.
Laurent Grumiaux: Avec le jeu, on peut se tromper. Il dit au joueur: ce n’est pas bon, réessaie… aussi longtemps que nécessaire. Lors d’un examen, par contre, quand l’élève a faux, personne ne vient corriger ses erreurs…
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