Le succès des EPN ne se dément pas si on s’en réfère aux chiffres de fréquentation. Même si l’on pourrait sans doute espérer une progression plus nette. Si les besoins restent constants, plusieurs carences ou inadéquations surgissent çà et là. Mettre les EPN en adéquation avec leur temps et préserver la stabilité de l’initiative sont des combats permanents pour ceux qui pilotent le réseau.
En 2011, quelque 55.000 personnes ont fréquenté, de manière plus ou moins assidues, les Espaces Publics Numériques (EPN) wallons. La fréquentation n’affiche pas de réelle progression, les nouveaux EPN compensant toutefois positivement la perte de ‘trafic’ due à la fermeture de 3 EPN. Ces nouveaux sites contribuent également à augmenter légèrement (de l’ordre de 7 à 8%) le nombre d’heures proposées en accès libre. Autre instrument de cette légère augmentation: l’apparition d’“antennes”, autrement dit des micro-structures aux heures d’ouverture plus restreintes, qui sont en quelque sorte des métastases, sur un même territoire communal, d’EPN déjà établis. Ces derniers y ont généralement recours pour mieux faire face à la demande, s’implanter au plus proche du besoin ou dans des lieux desservant un public spécifique (tels les CPAS). Un tiers des EPN disposent désormais d’au moins une antenne, et d’autres devraient continuer à s’ouvrir en 2012.
Mais ce sont là les bons élèves. Car on constate aussi une autre tendance, certes légère, mais qui est peut-être le signe d’un problème latent. En dépit de l’inauguration de nouveaux EPN, le total des heures d’ouverture est en léger recul. C’est là un élément en totale contradiction avec la demande. “Dans 9 EPN sur 10, nous constatons une demande énorme du public”, souligne Eric Blanchart, chargé de mission et responsable du réseau EPN. “Si les heures d’ouverture ne progressent pas, c’est surtout pour des raisons de coûts. Les animateurs d’EPN, en tout cas, nous disent qu’ils pourraient ouvrir facilement deux fois plus longtemps, monter à 35 ou 40 heures semaine, mais il faudrait pour cela qu’on dispose des moyens pour rémunérer des temps plein.”
Or, dans l’état actuel des choses, la moyenne d’ouverture est de 21 heures (les EPN labellisés ont l’obligation d’ouvrir un minimum de 16 heures par semaine).
Environ un-tiers des EPN ne disposent que d’un seul animateur; près de la moitié d’un deuxième et un peu moins d’un-quart d’un troisième. La moyenne d’heures assumées par l’animateur principal est de 21 heures/semaine. “Les trois-quarts assurent 16 ou 18 heures. C’est le quart restant, employé à plein temps, qui permet de remonter la moyenne”, souligne Eric Blanchart.
Une fracture numérique toujours présente
Le grand paradoxe est que, de plus en plus, les nouvelles technologies sont considérées comme chose acquise parce qu’elles sont devenues, pour beaucoup, une matière et un environnement quotidiens. Il n’est pas rare de croiser des responsables publics, au niveau local, qui estiment qu’il ne sert plus à grand-chose d’investir dans des espaces équipés, alors même qu’ils devraient au contraire prendre de nouvelles initiatives anti-fracture ou anti-décrochage numérique. Car il reste toujours une frange non négligeable de la population (chercheurs d’emplois, personnes en situation de fragilité, personnes plus âgées…) qui a toujours besoin d’un espace où trouver outils, formations et conseils.
De même, l’accélération des technologies, le surgissement de nouveaux outils et leur impact sur les habitudes, les relations inter-humaines et aussi les dangers et défis qu’ils impliquent ont pour effet de creuser encore davantage le fossé, estime Eric Blanchart.
Il y a, à ses yeux, tout un univers de connaissances, de compétences, d’accompagnement où les EPN pourraient jouer un rôle mais qui n’est pas exploité: l’éducation à la gestion des médias, aux avantages et inconvénients du “cloud”, aux dangers, risques mais aussi opportunités de la présence sur Internet et de la réputation numérique, l’assistance aux parents déboussolés par l’immersion de leurs enfants dans les réseaux sociaux, la mise à niveau des “moins jeunes” par rapport aux technologies multimédia, etc. etc.
Au-delà de la question des moyens, l’un des axes sur lesquels il faudrait agir pour donner plus de légitimité aux EPN est celui des animateurs d’EPN eux-mêmes. Les formations qu’ils donnent, basées sur les compétences qu’ils ont acquises, se cantonnent encore trop à du b.a.-ba, à du classique. Certes utile, mais largement insuffisant et clairement en déconnexion avec la multiplicité des besoins actuels. “On reste trop dans du concret, de la bureautique, de l’Excel, du mail…”, estime Eric Blanchart. “Les formations récurrentes, dispensées comme aide à la recherche d’emploi, visent souvent la bureautique. Heureusement, on constate que le multimédia (son, image, vidéo…) commence à avoir sa place. L’éducation aux médias (réputation numérique, ficelles de l’Internet, apprentissage des réseaux sociaux…) commence à émerger. Mais on aimerait que les EPN fassent davantage. Notamment dans la direction d’un mix culturel/numérique. Il faudrait initier quelque chose de plus créatif, de moins formel. Il existe, à l’usage des animateurs, tout une réserve de cours en-lignes qu’ils pourraient exploiter plus utilement pour se former et diversifier leurs compétences. Mais 90% des formations suivies concernent encore des applications telles Word ou Excel. Les cours Photoshop ou Powerpoint sont peu demandés. Tout le reste est tout simplement négligé. Tout cela reste beaucoup trop conventionnel. Le problème vient du fait que de nombreux EPN considèrent que l’insertion numérique se résume au seul but de la mise à l’emploi. L’insertion sociale via le numérique est considéré comme un luxe. Apprendre à se “vendre” sur Internet est considéré comme un luxe. Se faire une réputation sur Internet est considéré comme étant réservé aux geeks. Il serait pourtant intéressant de réfléchir à ce que les jeunes font du numérique, quels sont leurs besoins, leurs habitudes, ce que cette population-de-demain va chercher sur Internet…”
Il y a donc à ses yeux un clair décalage. Qui va croissant. “Les statistiques nous disent qu’il se vend désormais plus de tablettes que de PC. Mais rien n’est prévu pour expliquer, en EPN, les enjeux de la mobilité. Il y a un décalage grandissant entre les technologies du Web, d’une part, et la prise de conscience, de l’autre. Et ce, alors même que les politiques ont l’impression qu’on a progressé.” On est donc lui du compte.
Heureusement, certains EPN innovent. Comme par exemple à l’occasion de l’appel à projet, piloté, fin 2012, par le Cabinet d’André Antoine, responsable notamment de l’emploi et de la formation.
Thème: déploiement de programmes de sensibilisation et de formation numérique qui favorisent la réinsertion de demandeurs d’emploi sur le marché du travail. Les EPN candidats aux subventions devaient par exemple imaginer des projets incluant des “activités de sensibilisation et d’accompagnement pour la construction d’une identité numérique et une (ré)appropriation du Web comme canal de recrutement et de promotion de ses compétences et recherche d’emploi”. Parmi les idées qui seront mises en oeuvre par certains EPN: la création de cartes de visite et CV en Mind Map, des ateliers vidéo (avec parcours de mise à niveau via relooking, travail sur l’élocution, la présentation…), un accompagnement post-formation (pour vérifier que les personnes aidées progressent bien dans leur quête d’emploi), accompagnement à l’établissement d’un bilan de parcours professionnel (identification des points forts, faiblesses, opportunités, potentiels…).
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