Conférence Focus e-commerce: penser services et différenciation

Pratique
Par · 08/10/2015

L’asbl Cap Numérique, dédiée à l’accompagnement des acteurs de l’e-commerce en région francophone (sans négliger aucunement les dimensions belge et internationale), tenait son premier grand événement cette semaine. Voir le positionnement et l’agenda d’activités de l’asbl dans cet autre article. 

Le forum “Focus e-commerce” avait été imaginé sous forme de séances d’informations, tables rondes et exposés d’expériences, couvrant quelques étapes-clé que doit franchir un e-commerçant lorsqu’il se lance à l’eau – et continue de pagayer au jour le jour. Depuis l’identification d’un créneau porteur jusqu’à la croissance au long cours, en passant par la définition d’une stratégie, l’optimisation de la fréquentation du site et des taux de conversion ou encore la gestion des coûts logistiques…

Apprentis, acteurs confirmés et apprenants

Au fil de la journée, experts, observateurs mais aussi e-commerçants ayant fait leurs premières armes sur la Toile, sont venus échanger conseils, petits trucs, bonnes idées et doléances.

Près de 200 personnes s’étaient inscrites à l’événement, en majorité (près de 150) des e-commerçants et des porteurs de projets e-commerce (les organisateurs estiment que ces deux groupes étaient quasi à égalité en nombre) mais aussi près d’une cinquantaine d’étudiants de dernière année. Sans compter les orateurs (au nombre de 20) et les exposants (12).

Petit coup de projecteur sur ce qui s’y est dit en termes de choix et positionnement stratégique, de faiblesses et obstacles (locaux ou trans-frontières) à surmonter, et de conseils à suivre.

Attention aux chiffres

Plusieurs intervenants, lors des différents exposés et tables rondes, ont répété une mise en garde qui peut paraître triviale mais qui peut empêcher bien des erreurs de positionnement: un site e-commerçant n’est pas un truc qui, par un coup d’e-baguette magique, vit sa propre vie, attire les clics acheteurs comme des mouches et remplit les caisses de louis d’or.

C’était là la première mise en garde émise par Philippe Brachotte, chef de projet e-business et e-learning chez Technifutur: ne pas confondre chiffre d’affaires et marges.

Certains saluent l’essor des chiffres du secteur e-commerce (BeCommerce, notamment, envoie ces derniers temps des messages optimistes parlant de progrès en Belgique) mais l’augmentation des ventes ne veut pas pour autant dire rentabilité et viabilité.

Henri Isaac, autre intervenant de la journée (professeur et vice-président de l’université Paris Dauphine, en charge du numérique), soulignait d’ailleurs que si le chiffre d’affaires global du secteur évolue favorablement en France, la valeur du panier moyen de l’acheteur, lui, diminue. Cela implique des achats plus ponctuels mais aussi plus récurrents. Et donc une tendance à la fidélisation qu’il faut maîtriser.

Pour Philippe Brachotte, le plus important est clairement la marge et, donc, le positionnement initial. En d’autre termes, savoir se différencier et choisir ses produits ou services à bon escient. “Tant qu’on en restera dans une pure logique de coûts [Ndlr: l’e-commerce étant perçu comme un moyen de réduire les coûts associés aux magasins physiques], les e-commerçants continueront de se débattre dans ce qu’on appelle des océans rouges [à très forte concurrence et pression sur les coûts]. Certes, on peut légiférer, au niveau national ou européen, mais cela ne changera pas la donne.

Dans ces océans rouges, il y a aura toujours des acteurs plus concurrentiels. Il faut d’abord se trouver un océan moins rouge ou bleu…”

Autre conseil basico-basique: éviter de répliquer un concept qui existe déjà.

Calimero et Brutus

A partir de ce constat somme toute hyper-logique, toute une trame d’implications a été tissée par les différents orateurs.

La très mauvaise idée est de ne pas chercher une différenciation, une valeur ajoutée, des arguments originaux, mais de se lancer tête baissée, en se positionnant de manière frontale sur le même terrain qu’un concurrent déjà bien établi, a fortiori si c’est un géant du genre Amazon, Carrefour ou Zalando.

Plusieurs intervenants ont donné, à cet égard, toute une série de conseils sur la manière de se différencier. Et, en la matière, c’est l’imagination qui est – ou devrait être – au pouvoir.

Petit florilège d’armes utiles pour les nouveaux Calimeros.

  • L’union fait la force: pourquoi ne pas privilégier la mise en oeuvre de plates-formes de mutualisation au niveau local, par exemple pour fédérer des ventes de produits entre agriculteurs

Henri Isaac, Université Paris Dauphine: “Les communes et communautés locales devront se saisir de la problématique de l’e-commerce, via la mise en oeuvre de plates-formes, pour favoriser les acteurs locaux.”

  • Tâter le terrain, à moindre coût, avant de se lancer: “utiliser les plates-formes génériques, du genre Amazon ou eBay, permet aux petits e-commerçants de vérifier la traction de leur produit, l’importance potentielle du trafic généré, la notoriété de la marque. Cela permet de lancer son concept” – Carine Moitier, administratrice déléguée de BeCommerce.
  • Jouer la carte de la différence, celle-ci pouvant prendre de multiples visages: qualité du produit (ou de la chaîne de livraison), accent sur les produits de terroir, catalogue hyper-complet de produits dans une même thématique, offre de produits “contextualisée” (par exemple, envoi de recettes voire d’ingrédients complémentaires pour les ventes de produits frais, à l’image de ce que fait le site français Mon-marche.fr), référencement croisé (mise en exergue d’acteurs locaux complémentaires par rapport à sa propre offre: exemple des architectes ou décorateurs d’intérieur pour des ventes d’objet de décoration – comme le pratique le site américain Houzz), rapidité extrême de livraison (en moins d’une heure ou 2 pour jouer la carte “proximité”), renouvellement fréquent de l’assortiment pour coller à la mode, aux tendances, aux demandes…

Henri Isaac, Université Paris Dauphine: “Un merchandising intelligent permet de générer un panier plus important. Mais on constate malheureusement un important manque d’expertise et de compétences en merchandising, en relation client, du côté des e-commerçants.”

  • Jouer la carte du conseil spontané: ne pas se contenter d’aligner des produits en vitrine (virtuelle) mais prendre le client par la main pour le guider utilement, si possible en fonction de son contexte et de son profil (néophyte, habitué, client récurrent, professionnel…); lui procurer conseils, trucs et astuces, proposer des produits ou services voisins, éventuellement disponibles auprès d’autres e-commerçants locaux
  • Penser avant tout à la perspective client, “accorder une attention fine et quotidienne aux nombreux indicateurs que fournit la fréquentation du site afin de vérifier l’évolution, jouer la réactivité et mettre en avant le respect de la relation client” – Henri Isaac, Université Paris Dauphine
  • “Ajouter au site le puissant moteur que sont les outils analytiques pour profiler les clients et mieux les connaître. Fidéliser par le service en étant créatif, quel que soit le produit.” – Philippe Brachotte, Technifutur.
  • Réduire les coûts de logistique et de livraison en pensant par exemple à des concepts tels que les “drives”, le “clic & collect” (les articles achetés sont mis à disposition en magasin ou dans des points-dépôts spécifiques, à charge de l’acheteur d’en prendre livraison) ou encore les plates-formes mutualisées entre acteurs locaux.

Les tendances incontournables

Le grand défi pour nombre d’e-commerçants et porteurs de projets est non seulement de prendre le train en marche mais aussi d’anticiper, de prendre en compte les tendances technologiques, en accélération rapide dans le monde de l’e-commerce.

Et, ici encore, il s’agit de bien penser sa stratégie et sa présence en-ligne. Par exemple, en matière d’achats sur plates-formes mobiles, il est essentiel de procurer au chaland une interface adaptée à ce nouveau mode de commande et de consommation. Séduire, attirer et fidéliser passe aussi par une exploitation optimale des particularités de l’interface (tactile, défilement de pages, effets divers sur les objets graphiques…).

Autre impact du mobile: il modifie les habitudes de lèche-vitrine et de commande. Henri Isaac, de l’Université Paris Dauphine, soulignait par exemple que les pics d’achat, via mobiles, se situent davantage en soirée ou pendant les week-ends, alors que sur desktop les pics interviennent davantage… à la pause de midi.

Qu’importe? Pas vraiment. Cela implique en effet une modification dans le flux de revenus et impose de synchroniser sa logistique, son potentiel d’assistance. De pouvoir enclencher le processus de livraison à toute heure, avec un décalage qui a des répercussions sur toute la chaîne – en ce compris, en termes de contraintes socio-professionnelles.

Le mobile est une chose mais quid de la révolution tant en termes technologiques que d’interface et d’interaction que provoquera immanquablement l’avènement des objets connectés en tous genres? “L’Internet des Objets implique la mise en oeuvre de nouvelles interfaces marchandes”, avertissait Henri Isaac. “Les transactions pourront être initiées au départ de la voiture, du frigo, des outils domotiques…”

Il n’y a bien entendu pas que les interfaces qui devront être adaptées. Des changements non négligeables sont également nécessaires au niveau des métiers proprement dits. Comme le rappelait Valérie Saretto, secrétaire générale de l’UCM Province de Liège, “les métiers traditionnels doivent évoluer, tel celui des vendeurs de voitures qui ne bouclent plus une vente de A à Z dans un show room mais doivent traiter avec des clients qui auront configuré leur véhicule, chez eux, au départ de leur ordinateur…”

L’Europe et les autres

La concurrence de l’e-commerce basé dans des pays lointains, avec leurs coûts de production et de main-d’oeuvre inégalables, pose évidemment un sérieux problème de rentabilité pour les acteurs locaux.

Les participants au forum Focus e-commerce n’ont pas manqué de pointer la Chine du doigt, avec le rôle non négligeable que joue l’Etat (subventionnement des frais logistiques internationaux) mais aussi les pratiques “imaginatives” des vendeurs (tels ces colis qui échappent à la TVA en étant étiquetés “cadeau”).

L’Europe a clairement un rôle à jouer, dans ce domaine, pour tenter d’imposer des règles plus strictes.

Nicolas Janssen (cabinet du ministre fédéral Willy Borsus): “50% des cas de fraude détectés lors du passage à la douane concernent des paquets venant d’Alibaba.”

Mais l’Europe ne doit pas s’inquiéter uniquement des menaces venues de l’extérieur: le travail doit commencer en interne. Irène Roche Laguna, conseillère juridique à la direction générale Connect/Marché unique, faisait par exemple allusion à la nécessité d’harmoniser et de simplifier les règles de TVA, différentes aujourd’hui d’un pays à l’autre.

Philippe Brachotte (Technifutur): “Certes, on peut légiférer, au niveau national ou européen, mais cela ne changera pas la donne. Dans ces océans rouges, il y a aura toujours des acteurs plus concurrentiels. Il faut d’abord se trouver un océan moins rouge ou bleu…”

La disparité est également un écueil majeur en termes de transports et de logistique. “Le type d’étiquettes qu’un e-commerçant doit apposer sur les colis destinés à l’étranger varient souvent d’un pays à l’autre. Et cela implique parfois la nécessité de se doter de différents types d’imprimantes et de logiciels qui assurent le suivi des colis”, soulignait par exemple Carine Moitier, membre du comité de direction de BeCommerce. “Ces solutions peuvent en effet varier d’un transporteur à l’autre et parfois même, chez un même fournisseur, selon le pays de destination…”

Irène Roche Laguna reconnaissait que l’identification et le suivi des colis constituent un problème majeur: “c’est le trou noir dès l’instant où l’on franchit une frontière. Parce qu’un autre transporteur a pris le relais et que, soudain, le track & trace s’interrompt.”